Tribune. Je me décide à réagir aux propos somme toute banals de Yann Moix parce que j’ai longtemps été collabo. J’ai longtemps intériorisé l’imaginaire masculin et très bien compris les garçons - je dis bien les garçons pas les hommes -, je les ai si bien compris qu’il a longtemps été pour moi très simple de les aimer et compliqué de les séduire. Et puis à 25 ans, j’ai su. J’ai su le charme total que me conférait ma jeunesse, les pouvoirs idiots de régénérescence que les vieux, du genre de Moix ou de Houellebecq, lui prêtaient. J’en ai abusé. Et je ne comprenais pas pourquoi les femmes - même quadras - insistaient, face à moi, je les trouvais indignes et laides pour tout dire à se mouler dans des tailles basses à force de séances de body-pump pour essayer de continuer à baiser ces mecs dans le lit desquels je m’invitais, moi, simplement, en riant un peu fort à leurs blagues un peu faibles ou en saluant leurs effets de manche surjoués. J’ai adoré le pathétique masculin, j’ai méprisé le pathétique féminin. Aujourd’hui, j’ai vieilli. Je me suis inscrite à un club de sport. Je m’habille sans doute souvent trop court. Et je suis plus tendre avec les femmes, comme j’essaie de l’être avec moi-même.

Ce qui est intéressant, ce n’est pas de faire la morale au mâle contemporain de plus de 50 ans, c’est de voir de quoi il est le symptôme. Et de déconstruire, grâce à lui, l’idée selon laquelle la prestance phallique serait synonyme de virilité. L’homme français consacré du XXIe siècle est un anti-Hemingway : il a chez Houellebecq des armes et tire à la carabine mais il est incapable de tuer, et donc, si on en croit l’auteur, de vivre. Il est chez Moix un fils maltraité, un fils éternel, qui bande sur les femmes asiatiques (confirmant qu’elles seraient devenues les icônes mondialisées de la soumission sexuelle) et revendique un monde où la maturité féminine est annulée - ou bien est-ce elle qui l’annulerait ?

Houellebecq définit la conjugalité comme un univers fusionnel où sa compagne serait naturellement muette et bonne. Moix, lui, baise toujours le même type de nana, sans doute, pour pouvoir rester seul. Dans les deux cas, ils évoluent dans un monde irréel où les femmes sont exclusivement jeunes et malléables, disposées, et dans Sérotonine, promptes à installer des rideaux aux fenêtres et à fournir le frigo en produits bio - bref, à faire du chaos dans lequel vivrait spontanément l’homme, un monde enfin habitable.

Il est étonnant que la critique tienne unanimement à voir, dans ce dernier livre, une célébration de l’événement amoureux. C’est à vous dégoûter d’avoir lu Levinas. Ce qui semble ici fonder l’ethos viril de l’homme contemporain, dans son rapport aux femmes, c’est donc bien la possibilité souveraine d’être minable. C’est même le fait d’être minable et de l’assumer qui fait de lui un homme. Il ne connaît même plus la honte. Et cette absence de honte finit de le déshonorer en le masculinisant encore. C’est un beau paradoxe. On peut l’aimer ainsi, cet homme, mais il faut le regarder en face. Dans ses rapports aux femmes, il ne se bat pas contre ses faiblesses ou ses peurs, il ne cherche pas non plus à réinventer une forme de virilité qui se passerait de violence mais chercherait l’aventure. L’homme dessiné par Houellebecq ou Moix se fout «d’en avoir ou pas». Il préfère conjurer l’angoisse de l’impuissance par le huis clos conjugal ou la sexualité conditionnée et codifiée - à l’exclusion de toute autre. Ce n’est pas sexy, ce n’est pas viril. C’est pourtant bien aujourd’hui ce dont une partie du genre masculin se prévaut.

Alors les filles, au lieu, en réponse, de vous désaper sur les réseaux sociaux, pourquoi ne pas rester froides et désinvoltes ? Et si vous vous sentez reléguées dans les marges du désir, tournez-vous donc vers la virilité et non vers la prestance phallique d’hommes de pouvoir démissionnaires, ça vous libérera de ceux qui ne peuvent pas vous baiser et le revendiquent. Ce n’est là rien d’autre qu’un aveu d’impuissance. La vie est ailleurs.

Stéphanie Polack directrice littéraire chez Fayard