Et si on se creusait les méninges ? Interrogeons-nous sur les neurosciences. Le terme est né dans les années 1960, mais elles font la une depuis un peu moins d’un an dans l’éducation, disons, et c’est sans doute une coïncidence, depuis que le nouveau ministre ne jure que par elles et leur chantre, Stanislas Dehaene.
Un héraut inlassable
Il faut dire que les objectifs de Stanislas Dehaene sont modestes, il envisage rien de moins que de proposer des solutions aux enseignants pour tous leurs problèmes selon un live tweet du Café pédagogique le mois dernier...
Il ambitionne aussi de « décrypter le code neural du langage » comme il le disait l’année dernière encore au magazine La Recherche. Pourquoi encore ? Parce que la méthode de lecture est le cheval de bataille de Monsieur Dehaene. Dès 2013 et même avant, il s’opposait à Roland Goigoux à ce sujet comme en atteste cet article du journal Le Monde dans lequel Goigoux rappelle à Dehaene qu’« opposer méthode syllabique et méthode globale est archaïque ». Pourtant, c’est bien au nom des théories de Stanislas Dehaene que le ministre envisage de faire des recommandations de manuels aux enseignants, rompant ainsi avec la tradition qui veut qu’ils choisissent librement leurs manuels. À cela s’ajoutent les recommandations très prescriptives d’Eduscol sur l’emploi du temps du français au CP, saluées par le même Stanislas Dehaene.
Il semble loin, celui qui, en 2014 dans un compte-rendu des journées de la DGESCO paru sur le Café pédagogique appelait à « un dialogue organisé et mené dans le respect des professionnalités » entre scientifiques et enseignants.
Des médias conquis
Depuis l’été, c’est un festival d’articles tous plus élogieux les uns que les autres qui déferlent concernant les neurosciences.
Pour le Figaro, « les sciences cognitives rebattent les cartes ». Sciences cognitives et non neurosciences ? Oui car : « Ne parlez pas à Jean-Michel Blanquer de “neurosciences”. Trop restrictif. Trop scientifique sans doute aussi dans l’esprit du grand public. Lorsqu’il invoque la science pour éclairer et guider les méthodes pédagogiques, le ministre de l’Éducation préfère la case, plus large, de “sciences cognitives”. ». Encore une fois on note un souci de communiquer de façon rassurante auprès du grand public afin de s’assurer de la confiance du grand public.
Nous avons même des recommandations déjà anciennes à la bienveillance qui deviennent soudainement irréfutables, car là c’est à la « lumière des découvertes des neurosciences ». Merci Le Point, désormais être bienveillant n’est plus considéré comme du laxisme... enfin on peut rêver !
Et avec l’installation du conseil scientifique, on scientise pratiquement l’éducation. Ainsi, dans le Figaro, on estime que « le conseil scientifique proposera ses solutions » à rien moins que toutes ces questions : « Quels manuels scolaires sont les plus efficaces ? Comment mesurer les progrès des élèves ? Comment apprendre à apprendre ? Améliorer l’évaluation à l’école, aider les élèves handicapés ? »
Pour L’Express, c’est une révolution de l’école, rien de moins.
Si vous n’avez qu’une minute pour révolutionner l’école, écoutez Europe1, vous saurez tout sur les neurosciences à l’école. Vive la plasticité du cerveau...
Des doutes chez les enseignants et les autres sciences
Mais Stanislas Dehaene et les neurosciences ne font pas l’unanimité, loin s’en faut.
Dans l’Humanité, le 24 janvier dernier, le philosophe Yvon Quiniou, s’insurge contre « l’imposture de l’appel aux neurosciences dans l’éducation nationale ». Il estime que « si le support cérébral de la pensée est bien une condition de possibilité naturelle de celle-ci, il n’en est pas la cause exclusive. L’influence du milieu social intervient, dont Bourdieu a montré qu’il générait des inégalités fortes devant la culture sous la forme d’un “capital culturel” spécifique, mais aussi celle du milieu familial, avec sa causalité psychologique propre du fait de l’identification aux modèles parentaux. Ces inégalités sont largement responsables des inégalités scolaires individuelles. »
Dès décembre, le spécialiste de l’évaluation Charles Hadji rappelait dans Le Point qu’il ne faut pas trop attendre des neurosciences en éducation.
« Les neuroscientifiques et les chercheurs en éducation ont un devoir éthique vis-à-vis de la société de communiquer clairement sur leurs recherches et leurs limites, et les acteurs du système éducatif doivent de leur côté être suffisamment informés pour éviter toute dérive préjudiciable aux élèves » disent Marie Gaussel et Catherine Reverdy, de l’IFE, dès 2015 sur un site en anglais.
Dominique Bucheton, universitaire spécialiste des sciences du langage et de l’éducation estime pour sa part que « les neurosciences ne font pas une politique de l’école » et surtout que « le nouveau Conseil scientifique de l’Éducation nationale ignore les sciences de l’éducation et les didacticiens. »
Le sociologue Stanislas Morel considère dans Libération que « les neurosciences illustrent la dépolitisation actuelle de la question scolaire ». Ce recours « témoigne d’une obsession de la performance. Au détriment d’une approche sociale des inégalités à l’école. »
Et dans Le Monde, ce sont les enseignants qui sont inquiets car : « Si nombre de professeurs des écoles ne sont pas réticents à utiliser les sciences cognitives, peu les considèrent comme une solution miracle. » À commencer par votre servante...
Lily Champlain, prof masquée