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Vivement l'Ecole!

«Les jeunes en détresse psychologique ont besoin d’être reçus très vite»

15 Mars 2023 , Rédigé par christophe Publié dans #Jeunesse

Ce que vous avez toujours voulu savoir sur les jeunes et la santé mentale  sans oser le demander

Le psychiatre Nicolas Franck déplore la difficulté d’accès aux soins alors qu’une enquête de Santé publique France témoigne de l’augmentation des troubles mentaux chez les jeunes.

Psychiatre et chef de pôle au centre hospitalier Le Vinatier à Lyon, le professeur Nicolas Franck note une plus grande préoccupation des autorités sanitaires pour la santé mentale depuis la pandémie. Mais, pour l’auteur du livre Covid-19 et détresse psychologique (Odile Jacob), l’accès aux soins, notamment des jeunes, demeure un «gros problème».

Une enquête publiée mi-février par Santé publique France (SPF) relève une hausse spectaculaire des symptômes dépressifs, en particulier chez les étudiants. 20,8% des 18-24 ans ayant connu un épisode dépressif en 2021 contre 11,7% quatre ans plus tôt. Cela recoupe-t-il votre expérience clinique ?

Il est indiscutable que la pandémie a altéré la santé mentale de ces jeunes adultes et ceci de manière durable pour certains d’entre eux. Mais j’estime que le pire moment de la crise remonte à l’automne 2020, lors du second confinement. Beaucoup d’étudiants ont alors compris que leur année allait de nouveau être perturbée, qu’ils allaient de nouveau se retrouver enfermés sur des campus vides, désœuvrés, financièrement précarisés, loin de leur famille, sans perspective d’avenir. Leur détresse était alors extrême. Même si aujourd’hui leur malaise persiste, il est quand même nettement moins intense. On a retrouvé en consultation notre public d’avant la crise, des jeunes atteints de troubles mentaux marqués ou sévères. Selon moi, l’enquête de SPF témoigne autant d’une augmentation des troubles que d’un intérêt plus marqué des autorités et de la population pour la santé mentale.

La situation ne serait donc pas si préoccupante ?

Je dirais plutôt qu’on commence à prendre la mesure de l’enjeu d’une bonne santé mentale. Je m’explique. L’enquête de SPF repose sur des entretiens téléphoniques. Or les jeunes notamment peuvent traverser des épisodes dépressifs, le dire, mais sans pour autant consulter. Si on ne les avait pas interrogés, le phénomène ne serait pas documenté… Même s’il s’est un peu estompé avec la crise sanitaire, un tabou demeure autour des problèmes psychiques, souvent assimilés à une faiblesse de caractère. Au contraire de l’Australie par exemple, l’Education nationale française ne sensibilise pas les adolescents à l’importance de la santé mentale, aux signes de dégradation, aux troubles constitués et aux solutions qui existent pour y faire face. Du coup, quand des troubles adviennent, les jeunes et leurs proches sont souvent démunis. Surtout, ceux qui se décident à consulter ne peuvent pas toujours le faire.

Que voulez-vous dire ?

Simplement que nous avons un gros problème d’accès aux soins. Les étudiants n’ont pas les moyens de consulter les psychologues libéraux. Quant aux centres médico-psychologiques publics, ils sont saturés. Il faut parfois des mois pour obtenir un rendez-vous. Or les personnes en détresse, et singulièrement les jeunes, ont besoin d’être reçues très vite. Si ce n’est pas le cas, ils zappent. Quand leur rendez-vous arrive, ils ne viennent pas. Soit parce qu’ils ont oublié, soit parce qu’ils se sentent mieux et estiment que ce n’est plus utile. Du coup l’absence de diagnostic se double d’une augmentation de la difficulté d’accès aux soins, le rendez-vous non honoré ne profitant à personne. C’est pour fluidifier ce système que nous avons créé à Lyon des Centres d’accueil d’évaluation et d’orientation qui reçoivent très vite les patients et les orientent, le cas échéant, vers un centre médico-psychologique pour une prise en charge au long cours.

En avril 2022, le gouvernement a lancé le dispositif «Mon psy», qui permet aux jeunes de bénéficier de 8 séances d’accompagnement psychologique remboursées par an. Que pensez-vous de cette initiative ?

Je m’en réjouis, dans la mesure où avant il n’y avait rien. Néanmoins, on voit clairement les limites du dispositif. Huit séances chez un psychologue, cela peut permettre à un jeune de surmonter un mal-être passager. En revanche, s’il présente un trouble plus sévère, c’est très insuffisant. Cela peut permettre d’évoquer un diagnostic, l’ennui c’est qu’il n’y aura pas ensuite de solutions thérapeutiques, les structures de prise en charge étant toutes saturées…

Seulement 5% des psychologues libéraux se sont inscrits sur la plateforme «Mon psy», cela ne condamne-t-il pas le dispositif à l’échec ?

Il est vrai que la plupart des psychologues considèrent que le dispositif n’est pas rentable pour eux. Ils ont suffisamment à faire avec les personnes qui peuvent payer le prix d’une consultation. Pour ouvrir plus largement l’accès aux soins en santé mentale, il faudrait aller vers un meilleur remboursement des psychothérapies par la sécurité sociale.

Que faire pour améliorer la santé mentale de la population ?

Il faut prendre au sérieux la santé mentale, au-delà des périodes de crise. Environ 20% de la population présente une fragilité psychique. Cette vulnérabilité va s’exprimer à un moment ou à un autre de la vie, même en l’absence de crise majeure comme celle du coronavirus. Or chez un jeune, un simple mal-être peut se transformer en manifestation anxieuse durable, voire en dépression sévère, de nature à compromettre sa construction affective, ses études, sa carrière professionnelle, possiblement tout son avenir. Des pathologies lourdes, comme la schizophrénie ou les troubles bipolaires, ne sont généralement identifiées et prises en charge qu’au bout de plusieurs années ! Cela entraîne une perte de chance majeure pour les personnes concernées. On a donc tout intérêt à travailler sur les facteurs de stress et à prendre des dispositions pour éviter le gâchis humain dû à l’installation de troubles sévères dont on aurait pu prévenir l’évolution et le coût majeur pour la société. Il est impératif d’accentuer l’effort de prévention en santé mentale.

Propos recueillis par Nathalie Raulin

Si vous avez des idées suicidaires, ne restez pas seul.e. Parlez-en à vos proches et contactez votre médecin traitant, ou le 3114 (numéro national gratuit 24h /24, 7 jours /7, écoute professionnelle et confidentielle) ou le 15 (Samu).

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