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Vivement l'Ecole!

Vers une tenue unique pour les enseignants ? - Par Claude Lelièvre

24 Novembre 2022 , Rédigé par Mediapart - Claude Lelièvre Publié dans #Education

Les « hussards noirs », valeureux serviteurs de la laïcité à l'école - Le  Point

Aurélien Pradié, candidat à la présidence de LR s'était déjà prononcé en faveur d''une « tenue unique » pour les écoliers, les collégiens et les lycéens. Lundi soir, il s'est prononcé en plus pour l' « uniforme » à l'université. Et pourquoi pas aussi pour l'ensemble des enseignants qui devraient donner logiquement l'exemple ?

Aurélien Pradié s'est déclaré début novembre pour le retour de « la tenue unique vestimentaire à l'école » de manière à «rétablir la laïcité et l'égalité de départ » (sic). Lundi soir, lors du débat sur LCI entre les trois candidats à la présidence des ''Républicains'', il a évoqué « l'uniforme » jusqu'à l'université. « La République n'a pas à avoir honte de ses valeurs sacrées. Oui l'école, le collège, le lycée sont des espaces sacrés. Nous avons trop reculé ». « Faut-il l'envisager aussi à l'université ?, » lui est-il demandé . « Oui, y compris à l'université . A l'université , je n'ai aucun problème avec ça ».

Aurélien Pradié s'est ensuite le lendemain embrouillé dans un semi-démenti d'autant plus inaudible qu'il avait évoqué des «espaces sacrés » , faisant écho à une certaine représentation de l'Ecole comme « sanctuaire ». S'il doit en être ainsi, alors les enseignants eux-mêmes devraient être au premier chef touchés par cette mesure (comme dans tout vrai ''sanctuaire'' et pour donner l'exemple). « Encore un effort pour devenir ''républicains !'' » (à la mode du XXI° siècle) pourrait dire encore une fois le marquis de Sade...

Dans un article qui vient de paraître dans « Télos », le sociologue Olivier Galland interroge : « dans quelle mesure l’école doit-elle être un lieu sanctuarisé, imperméable à toutes les influences extérieures ? […]. Certains ne s’en inquiètent pas, considérant que l’école est un temple sacré qui doit rester protégé des influences sociétales et des modes. Mais cette fermeture recèle aussi des dangers »

Toujours est-il que l'histoire passée des vêtements devant être portés à l'Ecole (aussi bien par les élèves que pas les enseignants) ne va pas dans le sens de la ''sanctuarisation'' , tant s'en faut.

Sous le Premier Empire tous les lycéens internes ( mais les externes en étaient dispensés...) ont dû porter le même uniforme : habit vert, culotte bleue, collet et parement bleu céleste, chapeau rond et boutons jaunes métal. Mais il n'y avait alors qu'une trentaine de lycées pour toute le France. Le déclin de l'uniforme obligatoire pour les internes est intervenu surtout à partir de la Troisième Ré publique , et il n'y avait déjà plus alors de tenue unique nationale.

En revanche, il n'y a jamais eu d'uniformes dans le primaire public métropolitain. Beaucoup d'élèves portaient certes des blouses, mais elles étaient plus ou moins disparates et avaient surtout pour fonction la protection des autres vêtements. Or c'était pourtant dans ces écoles communales qu'il y avait le plus de diversité socioculturelle et où aurait pu se poser le plus la question de ''l'égalité'' que l'on invoque souvent comme raison supposée de l'imposition fantasmée d'uniformes ou de blouses uniformes dans ''l'école communale d'antan''. Beaucoup d'enfants portaient également la blouse à la maison. En réalité les mères de famille préféraient laver la blouse que le pull, d'autant que planait alors à l'école la menace constante des crachotis d'encre de la "plume sergent major''. Les blouses ont commencé à disparaître dans les années 1960 lorsque la pointe Bic l'a remplacée. Rien à voir avec quelque imposition que ce soit de l'Ecole républicaine dans ce domaine..

Par contre, des uniformes scolaires (ou des blouses uniformes) ont été portés dans les établissements où il y avait une certaine sélection socio-culturelle: à savoir dans beaucoup des établissements privés, mais aussi dans certains établissements secondaires publics (généralement les plus huppés). Ces uniformes ont été avant tout un signe de distinction d'établissement (dans tous les sens du terme), la mise en avant d'une appartenance à une communauté sélectionnée, dans un lieu et une institution donnée.

Tout cela n'a manifestement pas grand chose à voir avec quelque ''sanctuarisation'' que ce soit..

Et il en a été de même, à l'évidence, pour les professeurs et les instituteurs de l'enseignement public. On peut certes invoquer la « tenue unique » des congrégations enseignantes . Mais à partir précisément de l'instauration durant la troisième République de l'école laïque, les congrégations ont été par principe exclues de l'encadrement des institutions scolaires publiques. Et les instituteurs en exercice dans les écoles communales n'ont jamais eu de « tenue unique obligatoire » (en dépit du port de blouses – plus ou moins disparates – qu'ils portaient le plus souvent en vue -eux aussi – de protéger leurs autres vêtements).

Les fameux « hussards noirs de la République » ont bien existé. Mais, justement, il ne s'agissait pas des instituteurs en exercice mais des jeunes normaliens qui se préparaient à devenir instituteurs et qui devaient porter « un long pantalon noir, avec un liseré violet. Un gilet noir, une longue redingote noire, bien droite, bien tombante, mais avec deux parements violets aux revers »

Décidément, le "républicain" Aurélien Pradié et les siens sont hors de l'histoire réelle.

Claude Lelièvre

Cf. « L'Ecole républicaine ou l'histoire manipulée. Une dérive réactionnaire » par Claude Lelièvre, éditions « Le Bord de l'eau », 2022

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