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Vivement l'Ecole!

Les innovations pédagogiques explorent le système scolaire

27 Novembre 2022 , Rédigé par Liberation Publié dans #Education, #Pedagogie

Les innovations pédagogiques explorent le système scolaire

Souvent mis en place par nécessité face à des classes et des enfants en difficulté, les enseignements alternatifs séduisent et transforment toujours plus les rapports entre professeurs, élèves et parents.

Pauline Schmidt ne voit vraiment pas comment elle aurait pu faire travailler ses élèves sans passer par une pédagogie alternative. Dans son école élémentaire située dans un quartier défavorisé de Perpignan, cette directrice accueille 140 enfants, en majorité issus d’une communauté gitane sédentaire. Quand elle a débarqué dans l’établissement comme prof, il y a cinq ans, les élèves «ne tenaient pas assis plus de dix minutes et l’absentéisme atteignait des taux records, jusqu’à 50 % à certaines périodes de l’année». Elle n’avait que douze CE1, «mais ils pouvaient me retourner la classe». Elle s’est vite rendue à l’évidence : pour ces élèves, les cours classiques ne fonctionnent pas. Pas question pour autant d’abandonner et de se retrouver «à faire du coloriage toute la journée». Pauline tient à ce que ces enfants «sachent lire en CE2 pour qu’ils aient une vie décente».

Avec la directrice de l’époque, elle s’est alors tournée vers la pédagogie Freinet (participation active de l’enfant à ses apprentissages) et la classe flexible (un meilleur aménagement de la classe pour le bien des élèves). Aujourd’hui, toute l’école en profite. Terminé les tables alignées et les cours face au tableau, les enfants peuvent s’installer où ils le souhaitent, sur des chaises ou à même le sol, chaussons aux pieds. Chaque classe est équipée d’un coin calme, avec peluches, sabliers et petites lumières pour qu’ils régulent leurs émotions, souvent difficiles à contenir. «Ne plus être dans la discipline permanente comme avant permet d’augmenter le temps de présence au savoir», poursuit Pauline. Et ça marche. Très vite, l’absentéisme a chuté à 10 %, il n’y a quasiment plus de violence et cette année, la première cohorte de CM2 issue du projet est passée en classe de sixième avec «d’excellents résultats», précise fièrement la directrice de 39 ans.

«Projet de destruction»

«Dans les milieux difficiles, les élèves résistent plus que les autres à l’enseignement qu’on leur donne donc ça oblige les enseignants à imaginer des formules nouvelles. Comme dans les ampoules, la résistance c’est ce qui résiste au passage du courant mais c’est aussi ce qui éclaire, observe Philippe Meirieu, pédagogue et professeur honoraire en sciences de l’éducation. Les innovations donnent envie d’aller à l’école, c’est une des conditions de la réussite.»

L’exécutif, qui semble d’accord, a annoncé, fin août, la création d’un fonds d’innovation pédagogique doté de 500 millions d’euros, censé récompenser les initiatives allant en ce sens, et a fait de Marseille un «laboratoire» pour ses «écoles du futur». Pourtant, la démarche hérisse les poils de nombreux enseignants. D’autant plus depuis que le ministre de l’Education nationale, Pap Ndiaye, a annoncé que les projets ne seraient pas financés «aveuglément» et devraient déboucher sur une amélioration du niveau scolaire. Le ministère se basera pour cela sur les évaluations nationales qui existent en CP, CE1, sixième et seconde et bientôt en CM1 et quatrième.

«On ne donne pas plus à ceux qui sont en difficulté mais à ceux qui savent se vendre, grince Philippe Meirieu. Depuis la loi d’orientation de 1989, la loi dite Jospin, tous les établissements sont obligés de faire un projet. Donc c’est un peu comme si Macron demandait aux médecins de faire des ordonnances !» Le chercheur voit en cette mainmise de l’Etat sur les projets innovants le risque d’une mise en concurrence des écoles. «Les parents feront leur marché dans les établissements les plus innovants. C’est un projet de destruction du service public.»

Jeu de piste, Trivial Pursuit et classe en plein air

La réforme du lycée professionnel soulève elle aussi son lot d’interrogations et de critiques, parce qu’elle prévoit d’envoyer les élèves plus longtemps en entreprise, et donc moins longtemps à l’école. Ces établissements sont pourtant souvent considérés comme des laboratoires d’innovation. Un impératif alors que les élèves, issus à 57 % de milieux défavorisés – contre 29,9 % en lycée général et technologique –, ont pour la plupart atterri là par défaut, faute de résultats scolaires suffisants pour rejoindre la voie royale. «Nos élèves sont brisés par l’Education nationale. S’ils sont là, c’est généralement qu’ils n’ont pas réussi à entrer dans le moule qu’on a essayé de leur proposer au collège», analyse Germain Filoche, professeur de lettres et histoire-géographie à Bobigny (Seine-Saint-Denis).

Dès lors, il faut aux enseignants trouver d’autres façons de faire. «Les cours magistraux avec une évaluation à la fin, si on fait ça en lycée professionnel, on est cuit. Il faut partir des élèves, de leurs expériences, pour les amener vers une réflexion, des compétences. Ils auraient plein de prétextes pour ne pas venir en cours, ne pas suivre, s’endormir, donc il faut être concrets», affirme l’enseignant. Lui a créé un jeu de piste dans Paris, pour lequel ses élèves doivent demander des indices aux passants, concocté un Trivial Pursuit ou fait parfois classe dans la cour. «Il faut s’appuyer sur ce qui nous entoure et proposer aux élèves de décoincer leurs corps pour décoincer leur manière de penser. A partir de là, ils sont beaucoup plus impliqués et enthousiastes», remarque Germain Filoche.

A Ploërmel (Morbihan), voilà cinq ans que Fabrice Tanguy fait reproduire à ses élèves de bac pro agricole des peintures, en mettant en scène leurs propres corps. Ce professeur d’éducation socioculturelle leur fait découvrir des classiques – de Botticelli, Manet, Le Caravage… –, les amène à imaginer ce qui a pu se passer juste avant et juste après la scène, les invite à se costumer et à reproduire les gestes, le tout capté par un photographe professionnel. Son but : «démythifier l’art et l’accès à la culture» pour des élèves qui lui rétorquent que «Le Caravage, c’est pour les intellos». «On peut amorcer leur attention par le jeu mais, rapidement, il ne faut pas oublier de les sensibiliser à la notion d’effort. Il ne faut pas tout rendre ludique, c’est un piège complet. Ça reviendrait à seulement les occuper», alerte Fabrice Tanguy. «C’est un peu dégradant de dire qu’il faudrait toujours une pédagogie différente avec les élèves en difficulté, complète Ghislain Leroy, maître de conférences en science de l’éducation à l’université Rennes-II. Il ne faut pas être dogmatique. Tout ne peut pas passer par des méthodes détournées, ce serait un écueil. Susciter l’intérêt des élèves avec des projets, créer de la coopération, c’est bien, mais cela n’exclut pas d’avoir des moments de systématisation où on apprend des listes de mots, la conjugaison. On peut piocher dans les différentes traditions innovantes et traditionnelles.»

Souder professeurs et parents

Germain Filoche s’est, lui, vite rendu compte que la méthode traditionnelle seule ne suffisait pas. Lorsqu’il a commencé, en tant que contractuel, il a déboulé devant ses premiers élèves sans préparation ni connaissance des programmes. «Au début, on essaye de reproduire les méthodes des enseignants qu’on a eus. On ne se rend pas compte du type d’élèves qu’on a en face : bavards, agités, qui cherchent parfois le conflit. On comprend assez vite qu’on ne peut plus faire comme avant, qu’on est obligé d’innover. Pour ceux qui ne le font pas, en général, ça ne se passe pas très bien.»

Jérémie Fontanieu, professeur de sciences économiques et sociales au lycée Eugène-Delacroix, à Drancy (Seine-Saint-Denis), voulait justement que ça se passe mieux avec ses élèves difficiles à tenir. «Comment motiver des terminales qui ont baissé les bras “parce qu’ils sont dans un système scolaire injuste et violent” ?, s’est-il demandé en arrivant dans cet établissement alors classé zone d’éducation prioritaire (ZEP) – avant que les lycées n’aient plus droit à cette étiquette. Dans les quartiers populaires, les jeunes ont peu de bonnes volontés avec l’école parce qu’ils n’ont pas le bagage culturel qui leur permet d’y arriver sans trop faire d’efforts.» Ce prof tenace de 34 ans a finalement trouvé la clé dans son projet «Réconciliations», dans lequel il implique à fond les parents «parce qu’ils ont une autorité qu’on n’a pas». Avec eux, il forme une équipe soudée, qui communique tout le temps et ne lâche pas les jeunes, qui ont intérêt à se tenir à carreau.

«Les innovations en milieu populaire marchent lorsqu’elles associent les familles, explique Yves Reuter, professeur émérite à l’université de Lille (1). Si on arrive à les constituer comme des alliés, c’est important, parce que ces familles se sentent démunies par rapport à l’école qui leur semble être un lieu opaque, qui les méprise. C’est là que les méthodes classiques montrent leurs limites.» Regroupés en binômes complémentaires «pour se tirer vers le haut», les élèves de Jérémie Fontanieu doivent toute l’année bosser à fond et être ultra-ponctuels. Résultat : les terminales qui ont suivi cette méthode forte et innovante obtiennent 100 % de réussite au bac depuis cinq ans.

«Héritage»

«L’innovation pédagogique s’est souvent faite par nécessité pour faire face à des publics difficiles donc il y a eu une sorte d’héritage autour des pratiques pédagogiques dans l’éducation prioritaire, qui devraient servir d’exemple pour enseigner même en dehors de l’éducation prioritaire», constate Aziz Jellab, sociologue et professeur des universités associé à l’université Paris-Lumières. C’est justement le cas du projet «Réconciliations» de Jérémie Fontanieu, qui a été adopté par 130 autres profs ne travaillant pas forcément avec des élèves de milieux défavorisés.

L’innovation naît aussi face à des élèves handicapés, comme à l’Etablissement régional d’enseignement adapté de Montgeron, dans l’Essonne. Laura Navarro, professeure d’espagnol de 41 ans, s’est rendu compte qu’«avec eux, les cours classiques ne fonctionnent pas parce qu’ils font transparaître leurs difficultés». Son objectif : «Faire coopérer les élèves pour leur montrer que l’union fait la force et qu’ils soient enfin dans le camp des gagnants pour être fiers d’eux.» Ses élèves sont dyspraxiques, ils ont du mal à écrire, mais sont très à l’aise avec les écrans. Alors Laura Navarro les a inscrits sur une plateforme pour créer des magazines en espagnol avec d’autres élèves de différents pays européens qui n’ont pas de handicap. Ils ont aussi construit une île virtuelle, sous la forme d’un diaporama interactif, dans laquelle ils ajoutent une école, un parc, des personnages. Un jeu qui leur fait travailler l’espagnol de façon ludique. «Ce sont leurs difficultés qui nourrissent ma créativité, remarque l’enseignante. Chaque année, les élèves m’obligent à relever de nouveaux défis.»

Cécile Bourgneuf et Elsa Maudet

(1) Auteur de Comprendre les pratiques et pédagogies différentes, éditions Berger-Levrault, 176 pp., «Les indispensables».

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