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Vivement l'Ecole!

Dans l’enseignement privé, de plus en plus d’élèves très favorisés

22 Septembre 2022 , Rédigé par Le Monde Publié dans #Education

L'enseignement privé se porte bien

EXTRAITS

Au collège, le secteur privé sous contrat compte 40 % d’élèves très favorisés, contre 20 % dans le secteur public, et l’écart ne cesse de se creuser. Alors que l’entre-soi se renforce, le ministre de l’éducation nationale veut relancer une politique de mixité sociale.

C’est une note des services statistiques du ministère de l’éducation nationale, parue pourtant au cœur de l’été, qui ne cesse d’alimenter les débats dans les cercles éducatifs, tant les chiffres y sont éloquents. Si l’enseignement privé sous contrat accueille environ un élève sur cinq en France depuis plusieurs décennies, l’entre-soi s’y est davantage renforcé que dans le public, indique cette étude, alors que le ministre, Pap Ndiaye, a fait de la mixité sociale une de ses priorités. A la rentrée 2021, 40 % des élèves scolarisés dans un collège privé sous contrat étaient issus d’un milieu social très favorisé, contre à peine 20 % dans le public.

 

Inversement, 18 % des collégiens du secteur privé sous contrat faisaient partie de classes sociales défavorisées, contre 42 % des élèves du secteur public. Des écarts qui n’ont fait que croître, alors que la ségrégation parmi les collèges publics suit une tendance légèrement à la baisse depuis 2018. En 1989, la proportion d’élèves de milieu social très favorisé était déjà supérieure de 11 points en classe de sixième dans les collèges privés par rapport au public. Elle grimpe aujourd’hui à plus de 20 points, avec une accélération depuis les années 2010. Le collège concentre les enjeux de mixité sociale, il est vrai. A l’école élémentaire, les familles font le choix de la proximité.

Au lycée, l’orientation entre filière générale, technologique et professionnelle provoque un tri social, les classes défavorisées étant plus représentées dans les deux dernières voies. Au-delà des chiffres nationaux, c’est à l’échelle locale que tout se joue, tant lieu de résidence et milieu social sont liés. Historiquement, les collèges et lycées privés se sont davantage implantés dans les centres-villes, volontiers plus bourgeois. Aujourd’hui, si un dixième des collèges privés scolarisent moins de 6 % d’élèves de milieu défavorisé, un dixième en accueille au moins 39 %, note l’étude du ministère de l’éducation nationale.

De fait, les écarts de composition sociale entre le privé et le public atteignent leur paroxysme en Ile-de-France, dans le sud méditerranéen et les départements et régions d’outre-mer. Le cas de Paris est, à ce titre, exemplaire. Dans la capitale, 37 % des collégiens sont scolarisés dans l’enseignement privé sous contrat, qui compte 3 % d’élèves défavorisés dans ses effectifs, selon les calculs de l’économiste de l’éducation Julien Grenet. Selon une étude qu’il a conduite en 2017, la « ségrégation sociale » dans les collèges de la capitale est due pour moitié à la typologie du quartier de résidence lui-même, et pour l’autre moitié à la part des élèves inscrits dans l’enseignement privé, une faible part (5 %) relevant d’inscriptions dans un collège public hors secteur.

(...)

L’entrée en sixième, point de bascule

Si, pour une part, les familles scolarisent leur enfant dans le privé par conviction religieuse notamment, pour une autre, ce choix n’était pas acquis au départ. L’entrée en sixième marque le plus souvent le point de bascule. La réputation du collège de secteur, la volonté de « donner le meilleur à son enfant » ou des craintes sur le niveau scolaire ou des violences supposées au sein de l’établissement jouent à plein pour éviter le public. Un dilemme qui touche davantage les classes moyennes et supérieures des grandes villes, où la concurrence entre public et privé est plus frontale, mais qui n’épargne pas d’autres territoires.

« Dans ce système scolaire devenu marché, des tensions existent entre l’intérêt général et les intérêts particuliers, entre l’égalité et la liberté », décrypte le sociologue Aziz Jellab. Cadre dans la fonction publique territoriale près de Clermont-Ferrand, Violaine (elle n’a pas souhaité donner son nom) n’imaginait pas un instant « mettre ses enfants dans le privé ». Une infirmière scolaire sème le doute pour son fils aîné, détectant une précocité en classe de CE1. « Il sera peut-être davantage dans son élément dans le privé », souffle-t-elle. Issue d’une « famille de profs », Violaine se dit bousculée et réfléchit tout au long de l’école élémentaire, avant d’opter pour un collège privé à l’entrée en sixième. « Il s’agissait de le protéger », raconte-t-elle, toujours en « dissonance cognitive » face à cette décision quelques années plus tard.

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« Enseignement semi-public »

En parallèle de la fermeture de deux collèges publics ghettoïsés et d’une répartition des élèves dans les autres établissements du territoire, le conseil départemental de la Haute-Garonne module depuis 2019 une partie de la dotation de fonctionnement qu’il attribue aux collèges en fonction de leur composition sociale. Un dispositif d’incitation financière, sous forme de bonus-malus, qui ne concerne que les crédits pédagogiques, de l’ordre de 54 euros par élève en moyenne. Résultat, en 2022 : 56 collèges, tous publics, ont bénéficié d’un bonus, 40 structures publiques et sept privées ont reçu une dotation stable, et quatorze collèges, tous privés, se sont vus appliquer un malus.

 

Comment Pap Ndiaye pourra-t-il construire sa politique de mixité sociale face à cet état des lieux ? Y inclura-t-il l’enseignement privé sous contrat ? Cette question a tout d’un tabou dans la sphère politique, car la crainte de raviver la « guerre scolaire » est grande. D’un côté, l’enseignement privé ne veut pas entendre parler d’intégration à la carte scolaire ou de politique de quota. De l’autre, certains défenseurs du public crient au « séparatisme ».

Pour le secrétaire général du Comité national d’action laïque, Rémy-Charles Sirvent, « distinguer les enfants sur les bancs de l’école selon leur origine sociale pose problème pour la réussite de tous les élèves et du système scolaire dans son ensemble. C’est aussi un obstacle à la laïcité, car c’est là où se concentre le plus de pauvreté que ces questions sont aussi les plus vives ». L’enquête Pisa, initiée par l’Organisation de coopération et de développement économiques, le rappelle à chaque édition : la France est l’un des pays où l’origine sociale des élèves détermine le plus fortement leurs performances scolaires.

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Sylvie Lecherbonnier

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