Uber, c'est ça M. Emmanuel Macron ! L'exploitation de la précarité !
« Tout ceci est un leurre » : des chauffeurs Uber racontent leurs désillusions
Un métier « non rentable », un « leurre » d’indépendance, des jeunes de quartiers, séduits par la promesse de liberté et qui finissent endettés jusqu’au cou… Depuis son installation, le modèle Uber a déçu, notamment les chauffeurs qui ont rapidement déchanté.
Sur le papier, Sylvain, 52 ans, a le profil idéal pour vanter les mérites du modèle Uber. Il y a quatre ans, il a choisi l’entrepreneuriat plutôt que le chômage, en devenant chauffeur VTC. Travailleur « en extra » dans la restauration, il avait besoin d’un complément de revenu, pour les périodes où l’emploi se faisait rare.
Ne souhaitant plus dépendre des allocations-chômage pour assurer ce complément, Sylvain a obtenu sa carte professionnelle VTC, en passant l’examen requis. Il est depuis autoentrepreneur, comme la plupart des chauffeurs de VTC. Les cotisations sociales et les obligations patronales leur incombent donc.
Costard, cravate, petites bouteilles d’eau, bonbons dans la portière et des rêves d’ascension sociale plein la tête. Les premières années, ils étaient nombreux à défendre le système Uber, encore baignés dans le flot de promesses mirifiques portées par la plateforme.
Fin 2011, le marché était en plein essor et l’entreprise y régnait sans concurrence de taille. Les chauffeurs étaient galvanisés par le succès des premiers temps, certains s’endettant considérablement pour acheter les plus belles voitures. Aujourd’hui, il ne reste plus grand monde pour défendre le modèle mis en place par l’application, et les témoignages de chauffeurs pris au cou par les dettes, étranglés par le système de l’auto-entreprenariat s’étalent partout.
Au-delà des conditions de travail des chauffeurs déjà bien documentées, le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et ses partenaires, dont Le Monde ou encore Radio France, sont venus éclairer d’une lumière nouvelle l’installation d’Uber en France.
Le consortium a publié dimanche 10 juillet les « Uber files », une enquête en plusieurs volets permettant de « comprendre comment le géant des VTC a conquis la planète en surfant parfois aux frontières de la légalité ». Emmanuel Macron, qui était alors ministre de l’économie, y est présenté comme un soutien de choix pour Uber, intercédant en sa faveur, s’impliquant personnellement, en contournant ses collègues ministres et le chef du gouvernement d’alors, Manuel Valls.
Face à Mediapart en novembre 2016, le candidat de l’époque avait même déclaré : « Allez à Stains expliquer aux jeunes qui font chauffeurs Uber, de manière volontaire, qu’il vaut mieux aller tenir les murs ou dealer… Ils travaillent 60, 70 heures pour toucher le Smic mais ils rentrent dans la dignité, ils trouvent un travail, ils mettent un costume, une cravate. »
Recrutement dans les quartiers populaires
Après quatre années d’activité, Sylvain a déchanté. « L’indépendance, le travail “où vous voulez, quand vous voulez” et sans subordination... Tout ceci est un leurre ! », décrit-il. Uber représente 70 % de son chiffre d’affaires. « C’est le leader. Vous sortez votre voiture, vous allumez votre application et dans la minute, vous avez une course. »
Une facilité d’apparence qui a séduit d’abord dans les quartiers populaires des grandes villes. L’entreprise s’est rapidement installée dans ces quartiers et a emballé des milliers de jeunes éloignés du marché du travail, à coups de communication à la sauce méritocratique.
Sur les réseaux sociaux, Uber publiait des vidéos virales dans lesquelles on voyait de jeunes gens, souvent noirs ou d’origine maghrébine, en chemise ou en costard, se vanter d’être leur propre patron, de pouvoir « embaucher trois personnes en six mois ». À l’extérieur, ils sont désignés comme des « partenaires », mais en interne la langue se fait plus fidèle à ce qu’ils sont en réalité : du « ravitaillement », comme on l’apprend dans les « Uber Files ».
Le discours libéral d’Uber présentant le salariat comme l’enchaînement par le travail réglementé et l’autoentreprise, comme un oasis de liberté et d’abondance, est venu répondre aux besoins de nombreux chômeurs se sentant mis au ban. Ce n’est donc pas un hasard si le siège de l’entreprise a rapidement déménagé de Paris à Aubervilliers en Seine-Saint-Denis.
« Nous avons constaté que nos chauffeurs partenaires venaient essentiellement des quartiers prioritaires. Il fallait que l’on se rapproche d’eux », expliquait la firme en 2017 auprès de nos confrères des Échos.
"Il faut des heures et des heures, des kilomètres et des kilomètres pour avoir un chiffre d’affaires correct."
Sylvain, chauffeur Uber
« Il y avait des bus et des affiches partout dans le 93 [Seine-Saint-Denis – ndlr], ils visaient clairement les jeunes de banlieue », estime Helmi Mamlouk, chauffeur pour différentes plateformes, devenu depuis formateur et connu pour être l’un des leaders de la contestation contre Uber, et celui qui parle le plus fort. Il fait partie des anciens, ceux qui ont été séduits dès les débuts, en 2013. Il était alors au chômage, après avoir été à la tête d’une PME qui vendait des détecteurs de fumée, fermée en 2011. Comme d’autres, il a été séduit par les promesses, avant de vite déchanter.
« Il y avait même des affiches sur lesquelles on pouvait lire qu’on allait gagner jusqu’à 8 000 euros par mois », se souvient-il. L’entreprise se gardait bien de préciser que ces promesses relevaient du chiffre d’affaires, non pas du salaire, et qu’il fallait donc y soustraire toutes les cotisations patronales qui pèsent sur l’employeur – c’est-à-dire le chauffeur lui-même.
« Il faut des heures et des heures, des kilomètres et des kilomètres pour avoir un chiffre d’affaires correct », souligne Sylvain. « Les bonnes journées, on peut être à 30 euros brut de l’heure, en chiffre d’affaires. Sur une journée classique, on tombe à 20 euros brut », décrit celui qui compte encore en chiffre d’affaires plutôt qu’en salaire net.
Sylvain est connecté à quatre autres applications proposant des voitures de transport avec chauffeur. Quand il passe par Uber, la plateforme récolte un quart du prix de la course. Cela n’a pas toujours été le cas. Jusqu’à fin 2016, cette commission était de 20 %. Uber a ensuite décidé, de manière unilatérale, de la faire passer à 25 %. Cette décision a déclenché l’un des premiers mouvements sociaux des travailleurs de la plateforme, déjà échaudés par la baisse du prix des courses qui avait été, encore une fois, une décision prise sans concertation avec des chauffeurs qu’ils présentent pourtant comme leurs partenaires.
Malgré la forte mobilisation, ils n’ont rien obtenu et la commission s’élève toujours à un quart du prix de la course. Si on y ajoute toutes les cotisations patronales réglées par le chauffeur, mais aussi les sommes engagées dans la réparation de la voiture, le prix de l’essence qui ne cesse de grimper, l’assurance et le remboursement du prêt contracté pour acquérir la belle berline noire, il ne reste plus grand-chose.
La force d’Uber ? Le turn-over
« Et c’est aussi le chauffeur qui paye la TVA sur la commission payée à Uber ! », s’agace Brahim Ben Ali, secrétaire général de l’INV, intersyndicale nationale VTC. « Vous payez la TVA sur ce que vous encaissez et, en plus, la TVA sur la commission d’Uber ! », détaille celui qui a réalisé des courses pour le géant californien entre 2017 et 2019 avant d’être « déconnecté » définitivement de l’application.
Une mesure de rétorsion, selon lui, à la suite des blocages de plusieurs centres logistiques de la société, auxquels il a participé. « J’ai été accusé d’avoir tenu des propos diffamatoires envers Uber. En réalité, il fallait surtout couper la tête du meneur du mouvement. D’ailleurs, ça a marché. De 400 personnes mobilisées, on est passé à deux... », soupire-t-il, son témoignage faisant écho à d’autres chauffeurs vent debout qui ont été déconnectés après des mobilisations.
Aujourd’hui encore, Brahim Ben Ali dénonce les conditions de travail et de rémunération qui se dégradent. « À votre avis, c’est quoi la force d’Uber ? Pourquoi tout le monde continue dans ces conditions ? C’est le turn-over énorme ! Les anciens partent, les nouveaux arrivent et se disent que ce n’est pas si mal... Mais ils n’ont pas connu les conditions d’avant ! », affirme-t-il.
Il pointe « des tarifs au rabais », avec un modèle de rémunération devenu « forfaitaire » et non plus basé sur les kilomètres parcourus. De son côté, Sylvain dénonce une application parfois trompeuse sur la distance à parcourir pour aller chercher un·e client·e. Un trajet qui n’est pas rémunéré au chauffeur.
« L’appli vous dit que le client est à quatre minutes de vous, mais en réalité, vous en mettez dix ! On a l’impression que c’est calculé à vol d’oiseau, comme si nous étions des pigeons qui passent par les toits pour aller récupérer un client », lance-t-il, riant jaune.
Une loi en faveur des applications
D’ailleurs, ce n’est que très récemment et grâce à la loi d’orientation des mobilités (LOM), votée en 2019, que les chauffeurs Uber connaissent à l’avance le montant de la course et la destination de leurs client·es. C’est l’une des rares avancées pour les chauffeurs permises par cette loi.
Dans une interview accordée aujourd’hui à France Info, Thomas Thévenoud, l’ancien secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, à l’origine de la loi de 2014 qui tentait déjà d’encadrer l’activité des VTC, rappelle qu’à l’époque où a été signée cette loi largement en faveur des applications, Élisabeth Borne était ministre des transports : « Elle ne peut pas ne pas savoir un certain nombre de choses... Il y avait dans cette loi une disposition qui visait à protéger Uber sous une forme de charte de responsabilité sociale. Uber édictait une charte, faisait signer ça à ses chauffeurs, en échange de quoi il ne pouvait pas y avoir de poursuites contre Uber. » Pour lui, il n’y a aucun doute sur le fait qu’aujourd’hui encore Uber continue son lobbying, autant auprès du président que de la première ministre.
Sylvain raconte qu’avant cette loi, les chauffeurs partaient totalement à l’aveugle. Mais la nouvelle disposition ne le réjouit pas pour autant. Certaines courses, jugées trop contraignantes et pas assez rentables, sont refusées par les chauffeurs. « Cela pose des problèmes car des clients se retrouvent sans voiture. Ou attendent trop longtemps. Uber a donc instauré un système de bonus, pour attirer les chauffeurs. Si vous acceptez trois courses à la suite, vous pouvez obtenir dix ou quinze euros supplémentaires, selon l’heure et la demande. »
Un prêt à 20 000 euros pour une voiture
La cadence peut vite devenir infernale pour espérer obtenir une rémunération qui en vaille la peine. « Ce métier n’est pas rentable », tranche Sylvain, s’estimant chanceux d’avoir pu payer « cash » son véhicule grâce à un apport... « Il y a des gens qui ont investi dans de grosses berlines et sont totalement dépendants d’Uber pour rembourser leur crédit. »
C’est le cas de ce vieil homme que Helmi Mamlouk a rencontré devant le siège d’Uber il y a quelques années. « Je me souviens bien qu’il pleurait à chaudes larmes en expliquant qu’il avait contracté un prêt à 20 000 euros et qu’il n’arrivait pas à le rembourser. Uber l’avait déconnecté après qu’un client s’est plaint, sans qu’on n’interroge jamais le chauffeur. C’est arrivé plein de fois, le moindre mot du client et on était déconnecté. »
Sylvain dénonce enfin un système « gangréné par la corruption » à tous les niveaux. « Des comptes de chauffeurs sont loués à d’autres, tout le monde le sait et tout le monde a les yeux fermés. Uber devrait vérifier et bloquer ces comptes mais l’argent est plus important que l’intégrité. Et c’est ce modèle-là qui a été incité et validé par l’État ? On le dit depuis des années mais personne ne nous écoute... »
Sur le téléphone de Helmi sonnent toujours les applications Heetch, Bolt et Free Now. Uber est silencieux depuis 2014, date à laquelle il s’est fait déconnecter sans que jamais aucune explication ne lui soit fournie. Comme Brahim, Helmi explique que son expulsion est arrivée à partir du moment où l’entreprise a vu en lui un opposant.
Après seulement un an et demi au service de l’application, Helmi s’est engagé contre son fonctionnement, notamment au sein de son collectif « Capa VTC ». Les collectifs du genre ont, depuis, essaimé. Par ailleurs, des plateformes alternatives se créent ici et là, comme cette coopérative qui s’est installée en Seine-Saint-Denis en 2022, regroupant plus de 500 chauffeurs souhaitant tourner la page Uber.
Cécile Hautefeuille et Khedidja Zerouali
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" Tout ceci est un leurre " : des chauffeurs Uber racontent leurs désillusions
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