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Vivement l'Ecole!

Le bac philo de Libé: l’union (populaire) fait-elle la force ?

15 Juin 2022 , Rédigé par Liberation Publié dans #Education, #Baccalaureat, #Philosophie

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En politique, la force va à la force. Il suffit d’une promesse de victoire pour que des conflits auparavant insurmontables deviennent des malentendus vite dépassés. Récemment, la gauche française apparaissait tellement désunie qu’on la donnait pour morte. Et puis, forte d’un petit miracle (le score de Jean-Luc Mélenchon), elle s’est retrouvée comme un seul homme derrière l’espoir d’une conquête. Mais si la force favorise l’union, l’union fait-elle la force ?

«La populace, disait Victor Hugo, ne fait que des émeutes. Pour faire une révolution, il faut le peuple.» L’union du peuple confère une direction à la force des gens, elle évite qu’elle ne se disperse et ne se transforme en une juxtaposition de faiblesses. Jusqu’ici, la politique est semblable à l’amour : il arrive qu’un plus un fassent davantage que deux. Etre unis, ce n’est pas seulement ajouter ses forces, c’est en découvrir de nouvelles. Le «je» s’étonne que le «nous» puisse réaliser tant de choses : s’embrasser avec fougue durant des heures ou prendre la Bastille. Il suffit parfois d’être ensemble, ou de l’être à nouveau, pour se sentir immortels. Une force qui va en sachant où elle va paraît invincible. Que peut-on contre un peuple uni et déterminé ?

Il y a pourtant des raisons de se méfier du romantisme politique. Il n’est déjà pas sûr qu’un couple, même uni, constitue un seul individu, alors un peuple… «L’union fait la force» est la devise de la Belgique, un pays dont on sait bien qu’il est traversé par des divisions culturelles et linguistiques qui le placent souvent au bord du chaos. Quand on valorise l’union pour l’union, c’est certes pour se donner du courage, mais aussi pour voiler ses faiblesses. Le risque est alors de réaliser l’union par le haut, par exemple en pensant qu’un seul homme, roi ou président, suffira à faire taire les discordes. La Boétie a sous-titré son Discours de la servitude volontaire le «Contre-un». Il visait justement cette tentation de sacrifier la liberté singulière des sujets au mythe de l’unité sociale. Au nom de la force que confère l’unité on abandonne parfois le droit. Surtout lorsque l’on se met à croire que l’union s’incarne dans un monarque, fut-il présidentiel.

C’est pourquoi il n’y a pas d’union populaire sans débats intenses sur les institutions. Une institution démocratique est justement ce qui fait tenir des individus ensemble sans nier leurs singularités : comme dans un Parlement idéal, on y recherche l’unité à travers la discussion des désaccords. L’union fait le droit autant que la force si elle est conquise à chaque instant plutôt que postulée une fois pour toutes. Spinoza, le seul philosophe classique à être authentiquement démocrate, disait qu’une multitude a moins de chances de se tromper qu’un individu isolé, ne serait-ce que parce qu’il est rare que beaucoup de personnes s’entendent «sur une seule et même absurdité». Plus on est de fous, moins on délire sur la même folie, plus il y a de chances que nos illusions se neutralisent les unes les autres. L’union populaire fait la force (Spinoza dirait plutôt la «puissance») si elle demeure toujours «nouvelle», c’est-à-dire si elle valorise le conflit.

Michael Foessel, professeur de philosophie à l’Ecole polytechnique

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