La crise du « niveau » à l’école : un débat qui vient de loin
EXTRAITS
Les propos déclinistes ont gagné presque tous les partis et résonnent à nouveau avant l’élection présidentielle. Les études tendent à les relativiser, même si l’enseignement français peine à compenser les inégalités de naissance.
« Niveau » des élèves, niveau du « décrochage », « niveau » des enseignants et de leur recrutement, « niveau » du budget et de l’encadrement… Le mot, à moins de soixante jours de l’élection présidentielle, a trouvé sa place dans la campagne. Une grille d’analyse attendue, l’une des plus répandues dès lors qu’on débat de l’école.
Et pour cause : elle parle à tous, aux parents des 12,5 millions d’élèves scolarisés, comme aux grands-parents – et aux anciens élèves qu’ils ont été. La plupart des postulants à l’Elysée l’ont bien compris, en plaçant les « fondamentaux » – ce « lire-écrire-compter » auquel l’actuel ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, a ajouté un quatrième objectif, « respecter autrui » – parmi leurs propositions. Chacun avec ses mots propres, son ton.
La candidate de la droite, Valérie Pécresse, en appelle à un « sursaut national » pour « relever le niveau » – « sursaut » qui, pour elle, passe notamment par l’ajout de deux heures de français par semaine à l’école primaire, et d’une heure en plus de mathématiques. A l’extrême droite, Marine Le Pen plaide pour « remettre au cœur des programmes » le français, les mathématiques et l’histoire – quand bien même la France consacre déjà plus d’heures que ses voisins, au primaire, à ces apprentissages.
La dynamique défendue par Eric Zemmour surfe, elle aussi, sur cette tendance : face à l’« effondrement du niveau académique », il recommande de « recentrer l’école autour des savoirs fondamentaux ». A l’autre bout du champ politique, Jean-Luc Mélenchon insiste sur la « transmission des savoirs », mais elle passe, pour le candidat de La France insoumise, par une remise en jeu des réformes du lycée et du collège. Et ce, en « renouant » avec une organisation scolaire fondée sur le « groupe classe » et des « horaires suffisants ».
Il n’y a, à ce stade, qu’Anne Hidalgo et Yannick Jadot pour mettre (un peu) en sourdine le refrain du niveau et faire porter l’accent sur les savoir-faire – et pas seulement sur les savoirs. La candidate socialiste appelle de ses vœux des pédagogies « ouvertes » et « inclusives », quand le candidat d’Europe Ecologie-Les Verts plaide pour des méthodes « favorisant l’accrochage scolaire »
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20 % de jeunes en grande difficulté
D’un PISA à l’autre – ce « Programme international pour le suivi des acquis des élèves » devenu, en vingt ans, une sorte de norme mondiale de l’évaluation scolaire –, les Français ont fini par comprendre que leur école figeait très tôt les destinées scolaires. Pire, qu’elle creusait les écarts de réussite entre les « bons » et les « mauvais » élèves, les enfants privilégiés et ceux qui le sont moins. Mais « cette tendance a ralenti », tempère Eric Charbonnier, analyste au sein de l’OCDE, l’organisation pourvoyeuse de l’enquête PISA : « Les écarts de performances restent la marque de notre système éducatif, reconnaît-il, mais après une nette augmentation entre 2000 et 2010, ils ont commencé à se stabiliser. » Un peu comme si la France avait fini par avoir son « choc PISA », vingt ans après l’Allemagne.
Il n’empêche : si notre école sait propulser vers les scores les plus élevés quelque 10 % de très bons élèves (qui sont aussi, la plupart du temps, les plus privilégiés socialement), elle bute sur un « noyau dur » de 20 % de jeunes en grande difficulté, rappelle-t-on à la DEPP, le service statistique du ministère de l’éducation. C’est 1 jeune sur 5 qui, après plus de dix ans sur les bancs de l’école, se retrouve à la peine dans la poursuite d’études, comme dans la vie quotidienne. Reste à savoir ce qui ressortira du PISA 2022, retardé d’un an du fait de la crise sanitaire.
En attendant, la dernière enquête du genre, portant (en dominante) sur la compréhension de l’écrit et menée en 2018, n’a pas révélé de catastrophe. Avec 493 points, l’école française s’est même classée très légèrement au-dessus de la moyenne (487 points) des pays de l’OCDE. Loin de la Finlande, mais au même niveau que l’Allemagne, la Belgique ou le Portugal. Constat similaire en « culture scientifique » et en mathématiques, les deux autres champs éclairés par PISA.
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Un autre « niveau » a trouvé sa place dans les programmes présidentiels : celui du recrutement et du salaire des enseignants. Anne Hidalgo a, la première, installé le sujet dans la campagne, en s’engageant à doubler le salaire des professeurs. Promesse dénoncée par ses opposants comme irréaliste, mais qui en a entraîné d’autres dans son sillage : Yannick Jadot s’est ainsi engagé à recruter 65 000 enseignants et à les revaloriser. Jean-Luc Mélenchon a chiffré la première vague d’embauches nécessaires à 60 000 – comme sous le quinquennat Hollande –, et promis de revaloriser les traitements de 15 % pour rattraper le gel du point d’indice. En tension depuis au moins quinze ans, en France comme dans de nombreux autres pays voisins, le recrutement des professeurs a de nouveau révélé ses limites avec la crise du Covid-19 et l’incapacité de l’institution à assurer, en temps et en heure, les remplacements.
Année après année, pour des raisons sur lesquelles, là encore, les enquêtes ne manquent pas, les concours de l’enseignement ne font pas « le plein ». Dans certaines disciplines, à l’image des maths, la baisse des candidats est telle qu’elle pose la question du processus de sélection. Faute de titulaires, l’éducation nationale fait appel à des contractuels aux profils éclectiques et aux formations… inégales. Un « phénomène structurel », a rappelé la Cour des comptes dans un rapport de 2018, que la loi de transformation de la fonction publique, en 2019, a en partie normalisé.
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Mattea Battaglia
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La crise du " niveau " à l'école : un débat qui vient de loin
Les propos déclinistes ont gagné presque tous les partis et résonnent à nouveau avant l'élection présidentielle. Les études tendent à les relativiser, même si l'enseignement français pein...