Emmanuel Macron prône l'hyper-privatisation de l'enseignement supérieur
Pour le chef de l’Etat, l’université de demain doit opérer un changement systémique qui passerait par une forte augmentation des frais d’études et le développement de filières professionnalisantes privilégiant des parcours à rendement sûr et rapide.
Après s’être attaqué, entre autres, à la relation d’emploi et à la protection sociale, Emmanuel Macron a donné un aperçu de ce qu’il prévoit pour l’enseignement supérieur lors du congrès de France Université (ex-Conférence des présidents d’université). Il a plaidé pour une «transformation systémique» qui signifierait en gros la fin du service public d’enseignement supérieur.
Dans un discours mélangeant poncifs réactionnaires et clichés néolibéraux, il a repris le vieux thème de l’autonomie des universités avec lesquelles l’Etat devrait passer des contrats d’objectifs et de moyens pluriannuels. Les objectifs seraient l’employabilité des étudiants à la sortie, ce qui transformerait l’université, en principe généraliste, en simple école professionnelle spécialisée dont les formations devraient «répondre aux besoins des métiers», ce qui ne va pas être simple puisque ça change tout le temps selon Macron («nous vivons dans un monde où faire une carrière dans un même métier va devenir de plus en plus rare»).
L’enseignement supérieur qu’il souhaite aurait un segment de prestige, probablement lié d’une façon ou d’une autre aux grandes écoles, accueillant les meilleurs étudiants et accaparant l’essentiel des fonds de recherche, ainsi qu’un ensemble d’établissements beaucoup moins prestigieux accueillant le gros des lycéens et principalement destinés à offrir des formations courtes et «professionnalisantes».
L’objectif : faire baisser les dépenses publiques
Emmanuel Macron situe le principal problème de l’université dans le fait que «l’enseignement supérieur n’a aucun prix pour la quasi-totalité des étudiants» et qu’il y a des difficultés avec un modèle «beaucoup plus financé sur l’argent public que partout dans le monde». Outre le fait que ce dernier point est faux (la proportion de financement public est plus élevée dans les pays nordiques ou même l’Allemagne), on ne voit pas bien en quoi cela constituerait un problème, sauf à avoir pour objectif de baisser les dépenses publiques. Et c’est précisément ça l’objectif.
Il y a un côté idéologique dans le discours de Macron. L’étudiant guidé par les signaux de prix néglige sa formation (d’où, selon Macron, les taux d’échec élevés en première année) car elle est quasiment gratuite. Si elle était payante (et suffisamment chère), l’étudiant ferait plus d’effort pour rentabiliser cet investissement dans son «capital humain».
Ce côté idéologique révèle la vision du monde de Macron mais c’est secondaire par rapport aux changements «systémiques» qu’impliquerait une forte augmentation du coût des études pour l’étudiant (ou sa famille). La logique est que l’augmentation des frais d’études permettrait de pallier la baisse du financement public de l’enseignement supérieur. Les dépenses privées se substitueraient aux dépenses publiques.
La première conséquence serait de faire une ségrégation entre d’une part les étudiants issus de familles aisées qui pourront financer les études de leurs enfants, lesquels seront donc relativement libres de leur choix d’orientation, et d’autre part ceux qui n’iront pas à l’université ou s’endetteront pour suivre de préférence des parcours à rendement sûr et rapide comme les fameuses filières professionnalisantes dont Macron réclame le développement.
Ensuite, les familles aisées finançant les études de leurs enfants vont faire face à une charge supplémentaire ; elles seront alors d’autant plus réticentes à payer des impôts finançant une dépense publique dont elles ne bénéficieront que peu, ce qui alimentera des attentes parfaitement compatibles avec la mise en œuvre du projet néolibéral de transformation sociale dont Macron est porteur. Enfin, le développement des prêts étudiants favorisera l’activité des établissements financiers, un secteur que le pouvoir affectionne tout particulièrement. Cela conduira à terme à une dette étudiante comme il en existe dans certains pays (pour comparaison : le gouvernement britannique prévoit un encours de 560 milliards de livres sterling en 2050) et, bien sûr, une partie de ces prêts ne pourra pas être remboursée, le coût devant être au moins en partie pris en charge par l’Etat.
En 1986, un important mouvement de contestation s’opposait avec succès à un projet de réforme de l’enseignement supérieur prévoyant la sélection et l’augmentation des frais d’inscription. Cette réforme était une version édulcorée d’un projet plus radical. Ce qu’on devine du projet Macron va plus loin que celui des ultras de 1986 que le ministre Alain Devaquet avait jugé inacceptable. On peut supposer sans risque qu’il pourrait tout aussi bien avoir la faveur de Valérie Pécresse ou d’autres candidats à droite.
Bruno Amable, professeur à l'université de Genève
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Emmanuel Macron prône l'hyper-privatisation de l'enseignement supérieur
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