Apprenons aux élèves à penser leur futur...
Une véritable culture de l’accompagnement au « projet » est à mettre en œuvre collectivement dans nos établissements scolaires. Ceci se fait déjà, mais de manière disparate et sans grands moyens d'accompagnement.
Pour pouvoir mener à bien la réflexion sur son orientation pour le futur (à court ou moyen terme), l’élève doit pouvoir avoir une vision précise de ses compétences et de ses potentialités (question souvent abordée d’une évaluation par compétence, individuelle et argumentée). Ce bilan peut permettre à l’élève, en cas de distorsion entre ses souhaits et ses capacités présentes, d’envisager une remédiation ciblée (en langues, expression écrite, etc.). Il doit pouvoir opérer en permanence des ajustements entre ce qu’il maîtrise et ce qu’il vise.
L’élève doit pouvoir également se projeter dans le futur. C’est une préoccupation enseignante peu développée alors même que les travaux portant sur les Perspectives temporelles à l’adolescence montrent que beaucoup de jeunes ont des difficultés à se projeter dans leur avenir. L’École favorise peu les activités de ce type. Ainsi la thèse de Leininger-Frézal, 2009, portant sur l’Éducation au développement durable, montre que les projets pédagogiques sont très rarement ancrés dans le futur, et que même des pratiques dites parfois très exagérément "innovantes" sont pensées dans et pour l’école, donc dans un cadre défini, alors même que les finalités civiques visées sont un futur à construire à l'extérieur de l'Ecole.
L’élève doit pouvoir enfin se projeter dans le monde. Le problème est que l'école est fermée sur elle-même. Une ouverture "vers le monde" et "au monde" semble une piste importante. Cela ne signifie pas « vendre » l'école à quelque entreprise que ce soit, mais simplement ne pas la couper des réalités économiques et sociales.
Ainsi, « l’orientation » -comme il est dit de manière elliptique- doit être un temps de découverte, un moment structuré par un projet pédagogique. Cela peut, par exemple, revêtir la forme d’un projet artistique (écriture et représentation d’une pièce de théâtre, tournage vidéo), de la conception d’outils de communication sur les métiers (reportage sur des branches professionnelles méconnues, interviews de professionnels, enquêtes), d’un journal… Ainsi, les élèves s’approprieront-ils le projet en tant qu’acteurs et non spectateurs/consommateurs d’une « orientation » qui leur serait proposée de l’extérieur. D’ailleurs, si les enseignants eux-mêmes sont incités à concevoir leur carrière comme une dynamique, sans doute seront-ils enclins à mieux comprendre les angoisses et le stress de leurs élèves.
Il doit donc exister un lien fort entre la découverte du monde du travail et les apprentissages fondamentaux : non plus comme une sorte d’assujettissement de l’école au monde du travail (considérant qu’elle doit être le « réservoir » des futurs travailleurs) mais bien au contraire en permettant à chaque élève d’interpeller l’École sur ce qu’elle peut lui « offrir » comme ressources pour accéder à son projet personnel et le construire.
Le rôle central de la technologie
Cette discipline devrait jouer un rôle dans la construction que les élèves ont à avoir de la pluralité des métiers d’aujourd’hui et du futur :
- en permettant une réelle découverte des métiers du XXIème siècle avec des passerelles entre chaque « espace de découverte » ;
- en développant des activités réelles, des projets, des expériences des « unités éducatives » en lien avec le monde du travail en fonction des métiers accessibles dans le bassin d’emploi (professions de toutes natures : tertiaires, techniques, agricoles ; monde médical, professions libérales, fonction publique…).
De la sixième à la seconde, les élèves doivent avoir construit (avec des moments de synthèses, de comparaison, d’échanges au sein des unités éducatives de leurs expériences) un panel aussi large que possible de l’ensemble des voies ou grands secteurs d’activités qui s’offrent à eux. Des forums regroupant chaque année des professionnels dans les établissements pourraient contribuer à approfondir cette connaissance des métiers dont les élèves n’ont qu’une vision le plus souvent abstraite voire fantasmée.
Afin de sensibiliser les enseignants à cette problématique, tout professeur devra avoir effectué un stage en entreprise au cours de sa formation. Une implication dans l’ensemble du dispositif de l’établissement permettra par ailleurs une connaissance en temps réel de professions en constante évolution.
Affirmer qu’apprendre tout au long de la vie scolaire est un droit entraîne, de la part des pouvoirs publics, des engagements forts.
L’enfant sera accompagné dans sa découverte du langage (et de la langue française), dans sa découverte du « vivre et faire ensemble », deux fondements de la citoyenneté débutante. Il pourra, quand c’est possible et particulièrement dans les premiers mois de sa scolarité, être accompagné de ses parents dans cet apprentissage.
- Engagement à reprendre et appliquer le principe des cycles à l’école primaire. Une évaluation précise des acquis de cette réforme ambitieuse, de ses blocages devra être faite. Des réajustements seront envisagés.
- Engagement à mettre tout en œuvre pour une mise en place des pédagogies différenciées. Leur promotion, depuis le milieu des années quatre-vingts, pour rendre plus efficace l’enseignement-apprentissage dans des classes devenues parfois très hétérogènes, n’a pas été suivie d’une réelle généralisation. Si des approches différenciées ont fini par infiltrer les pratiques, elles sont trop souvent le fait d’enseignants « innovants » en raison du surcoût de travail demandé, des problèmes liés à l’évaluation, des effectifs parfois pléthoriques. La restructuration des établissements en « unités éducatives » devraient, notamment en réduisant les effectifs pour certaines activités, en permettre la généralisation.
Un mémorandum des pratiques innovantes et de leur efficacité devra faire l’objet d’une évaluation globale. Des moyens devront être mis en place, au plan national et local (niveaux départementaux et régionaux) pour favoriser la diffusion des pratiques pédagogiques, qu'elles soient "innovantes" ou pas. L'innovation n'étant pas automatiquement gage de qualité et de succès :
mutualisation grâce à la mise en réseau internet des établissements ; journées d’études ; presse professionnelle spécialisée (ce qui n’existe pas dans notre métier contrairement à d’autres, les revues étant le plus souvent l’œuvre d’associations militantes).
- Engagement à offrir à tous les élèves la possibilité de capitaliser des acquis afin d’éviter les redoublements inefficaces.
- Engagement à supprimer tous les critères d’âge et à systématiser la « scolarisation par récurrence ».
L’École deviendra alors une « maison d’éducation » ouverte sur tous les apprentissages destinés à un public diversifié.
Utopie? Tant mieux !
Christophe Chartreux