Ecoles : le casse-tête des tests salivaires pour les enfants...
Plus d’un mois après les engagements du ministère de l’Education à développer ce dispositif, des enseignants et directions d’écoles témoignent des difficultés que soulèvent les tests salivaires pour les enfants de maternelle et de classes élémentaires.
«Les tests, on les aura attendus trois semaines.» Marion* est directrice d’une grande école primaire en milieu semi-rural. En «deux ou trois jours», quinze cas d’élèves positifs ont été recensés. La classe concernée a été fermée. Mais le Covid-19, lui, n’a pas chômé. «Les frères et sœurs ont contaminé d’autres élèves. En une semaine, on est monté à trois classes fermées.» C’était à la mi-mars. Marion relance ses supérieurs pour obtenir un dépistage, «qui devait intervenir fin février» : «prochaine disponibilité, en avril», lui rétorque l’administration. Les élèves de cette école se feront donc tester à la veille des vacances de Pâques. «C’est inutile, c’est trop tard», lâche Marion.
Dépistage tardif, difficulté des tests pour les tout-petits, problèmes de communication avec les familles, retard des résultats… Un mois après l’engagement du ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, d’atteindre 300 000 tests salivaires «déployés» par semaine (et non 300 000 personnes testées, souligne le ministère) d’ici la mi-mars, les dépistages à l’école connaissent des couacs.
Lancés le 22 février d’abord en zone A, puis au retour des vacances dans les zones C et B, ces tests sont utilisés en priorité pour les plus jeunes, car moins intrusifs que ceux nasopharyngés. Mais pas exclusivement : collégiens, lycéens, étudiants, personnels soignants ou personnes en situation de handicap peuvent aussi être testés de cette manière. La semaine du 15 mars, 200 404 tests salivaires ont été réalisés pour les élèves et les personnels, sur un total de 320 285 tests proposés, avec un taux de 0,49% de tests positifs, d’après les données du ministère. Les testés de la semaine passée représentent donc un peu plus de 0,03% des 6,6 millions d’élèves du primaire, qui regroupe maternelles et élémentaires.
De la surveillance à l’urgence
Ces dépistages en école interviennent dans deux cadres : un panel fixe défini par le ministère de l’Education rassemble environ dix établissements par académie, soit 300 à l’échelle du pays, «pour affiner la connaissance épidémiologique du milieu scolaire». Ce panel est composé «d’écoles, de collèges et de lycées représentatifs de la diversité des territoires : REP + (réseaux d’éducation prioritaire renforcée), centre-ville, zone rurale, établissement privé…»
Mais le nerf de la guerre se trouve ailleurs : dans les écoles des zones prioritairement touchées. Le ministère a ajouté ainsi une seconde liste, actualisée régulièrement, d’écoles à tester. Quitte à s’adapter localement : depuis lundi, le rectorat de Paris allège la liste fixe d’écoles suivies pour se concentrer sur les trente établissements les plus âprement touchés par le coronavirus. «On quitte la surveillance pour être dans une réponse d’urgence», résume Anne Souyris, adjointe à la mairie de Paris, en charge de la santé publique.
Problème, les capacités de dépistage des enfants peuvent être insuffisantes, même pour les établissements en tension. Comme à Poitiers (Vienne), dans des écoles du quartier populaire des Couronneries durement touchées par l’épidémie : «Après notre alerte début mars, il a fallu onze jours pour obtenir un test à l’école maternelle, treize pour l’élémentaire. Et encore, la campagne d’une autre école a été annulée. Ils n’avaient pas les moyens de maintenir les deux», souligne Gilles Tabourdeau, professeur des écoles et secrétaire départemental du syndicat d’enseignants SNUipp-FSU. «En attendant les tests, les enfants sont venus à l’école et le virus a circulé.»
Réussir à cracher
Pour le dépistage, chaque enfant doit présenter une autorisation familiale écrite, le test n’étant pas obligatoire. Un jour pas tout à fait comme les autres pour les tout-petits : les blouses blanches intégrales, les petits pots à remplir intimident les enfants, comme le confient plusieurs instituteurs. De plus, il faut pouvoir cracher, mais encore faut-il savoir le faire à trois ans, rappelle David*, directeur d’une école maternelle à Paris. «Sur environ 70 enfants testés chez moi, une dizaine n’a pas réussi.» Les enfants trop jeunes ou handicapés doivent normalement bénéficier d’un prélèvement par pipette, comme l’annonce le site du ministère de l’Education. Mais cette alternative n’a pas été proposée aux élèves de David.
Le prélèvement salivaire est réalisé par le laboratoire à l’école, en présence d’un membre de l’Education nationale, et «doit être analysé dans les vingt-quatre heures suivant le prélèvement», indique aussi le site du ministère. «Si le test est positif, le laboratoire prévient les parents de l’élève et l’agence régionale de santé (ARS). L’ARS transmet ensuite au personnel médical de l’Education nationale», nous ont confirmé leurs équipes. Quelque soit le résultat, les parents ne sont pas obligés de tenir au courant la direction de l’école, qui reste pour la plupart du temps dans le flou.
Dans les faits, le délai des vingt-quatre heures n’est pas toujours tenu : dans une même école, les résultats peuvent être reçu en une journée comme sous quarante-huit heures. Dans un autre établissement, cela peut aller jusqu’à soixante-douze heures. Certaines n’obtiennent pas de résultats du tout en cas de négativité ou de mauvaise saisie des informations de contact. «On pensait naïvement que les parents recevraient un simple texto de résultat», explique Nicolas*, enseignant en Auvergne-Rhône-Alpes. Mais parfois, ils doivent appeler un numéro, «ce qui peut être compliqué pour certaines familles maîtrisant mal le français». L’équipe pédagogique a donc appelé le laboratoire, en se faisant passer pour les parents.
«Ne touche à rien, fais ton cartable et sors !»
Dans l’intervalle qui sépare les tests des résultats, rien n’empêche les élèves de revenir en classe. Y compris les malades qui s’ignorent, les asymptomatiques, ce qui peut aggraver la circulation du virus. Seulement dans le cas d’un retour d’un isolement, un test négatif est exigé en école élémentaire, et non en maternelle.
Dans l’école parisienne dirigée par David, deux enfants positifs sont ainsi revenus sur les bancs. Même chose chez Nicolas. Un CM1 s’est rendu en classe lundi, trois jours après les tests salivaires. En pleine matinée, la porte de la classe s’ouvre : «Ne touche à rien, fais ton cartable, et sors !» La mère, qui élève seule le garçon, passe le chercher. Elle venait de recevoir ses résultats.
Depuis lundi, chaque classe des 19 départements concernés par les mesures accrues de restrictions doit être fermée si un seul cas de contamination y est identifié. Sans pour autant clore les écoles. «Comment fait-on quand les enseignants Covid avérés ou cas contacts ne sont pas remplacés ?» tonne Guislaine David, cosecrétaire générale et porte-parole du SNUipp-FSU. Pour elle, avec ou sans test, «certaines familles doivent faire garder l’enfant pour aller travailler. Par praticité… ou par manque de moyens. Et le gouvernement ne fait rien pour favoriser la garde d’enfants. Les entreprises non plus».
*Les prénoms ont été modifiés.
Miren Garaicoechea
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