Adel Abdessemed : « J’ai deux naissances, la première en Algérie, la seconde en France »
EXTRAITS
Je ne serais pas arrivé là si… Cette semaine, le plasticien raconte son enfance algérienne, sans accès aux livres ou aux images, et ses débuts d’artiste, entravés par le terrorisme islamiste.
Artiste plasticien français internationalement reconnu, Adel Abdessemed, né en 1971 en Algérie, pratique le dessin, la vidéo, la sculpture – comme le Coup de tête de Zidane, en 2012 – et est l’auteur de plusieurs installations controversées.
Ses œuvres figurent dans de grands musées, dont le MoMA à New York, et Beaubourg à Paris, qui vient de faire l’acquisition de vingt-cinq de ses pièces pour sa collection permanente, ainsi que dans les fondations de François Pinault ou de Bernard Arnault.
Je ne serais pas arrivé là si…
Si je n’avais pas quitté l’Algérie en 1994, je serais sûrement mort. C’était une époque où l’on tuait tous ceux qui incarnaient l’espoir, la liberté, l’art. On assassinait les journalistes, les artistes, les chanteurs, les poètes, les écrivains. On se réveillait le matin et on apprenait que trois cents personnes avaient été décapitées par les terroristes islamistes, le Groupe islamiste armé (GIA) à l’époque, ce n’était plus possible de continuer.
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Avant le terrorisme islamique, quelle enfance avez-vous eue ?
Je suis un Berbère des Aurès. Je suis né à Constantine dans une maison juive, ce sont des sœurs catholiques qui ont aidé ma mère, musulmane, à accoucher. Je suis né avec les trois religions monothéistes. J’ai grandi à Batna dans une famille pauvre, mais ce n’était pas triste car la pauvreté, comme je le dis toujours, sait unir les gens. Les hommes étaient dans la rue et les femmes dans les maisons. Mon père était policier depuis l’indépendance, après avoir fait la guerre d’Algérie. J’étais le troisième de cinq enfants. Ils sont tous restés en Algérie, je retourne les voir régulièrement.
Il n’y a jamais eu aucun artiste dans ma famille, mais tout petit déjà je dessinais sans avoir appris avec des stylos Bic et des bougies colorées que je faisais couler. La seule « professeure » que j’ai eue, c’était ma grand-mère. Elle était horriblement méchante, mais je l’admirais : elle tissait des tapis avec des laines de couleurs incroyables, des jaunes citron, des rouges incendiaires, des noirs impressionnants.
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A l’école, il n’y avait rien non plus. On étudiait tous sur le même manuel : « Zina est à la cuisine, Omar est au souk », c’est avec ça que j’ai appris à lire. Comme mes cousines ne voulaient pas me prêter leur dictionnaire, je me rendais souvent chez elles pour le feuilleter. Plus tard, je devais avoir 11 ans, je suis tombé sur une encyclopédie de Diderot très abîmée que quelqu’un vendait, sur le trottoir. Il y avait des gravures pour montrer comment on pouvait fabriquer un toit, des bijoux, ça m’a fasciné cet aspect de la technique, de la réalisation. Je me disais qu’avec cette encyclopédie on pouvait apprendre à tout faire en cas de fin du monde !
Quel élève étiez-vous ?
Très mauvais, je n’étais pas scolaire. J’avais de gros problèmes de dyslexie. Je confonds encore ma droite et ma gauche, j’ai souvent besoin de toucher mon cœur pour me repérer. J’ai compris plus tard que c’était lié au fait que mon père avait interdit à ma mère de parler le berbère à la maison.
C’était l’époque de l’arabisation forcée, ça a été d’une grande violence pour moi. C’est mon premier grand trauma. La plupart de mes copains parlaient berbère, c’était compliqué. Je me suis durement opposé à mon père sur ce sujet. Je passais déjà pour un mécréant au sein de ma propre famille. Mes parents étaient pratiquants, même s’ils ont toujours combattu l’intégrisme. Je n’ai jamais voulu aller à l’école coranique, je ne me suis jamais senti musulman, j’étais très déterminé, je leur tenais tête. J’étais quelqu’un qui faisait des images, c’était péché, je choquais beaucoup de monde, certains me détestaient.
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Vos débuts en tant qu’artiste ont-ils été faciles ?
Ça été compliqué comme pour tout le monde, quand nous vivions à Berlin notamment, après New York. J’étais un artiste fauché, on m’a proposé d’être dans une galerie en sortant de l’école et j’ai refusé. Pour être sur le marché, il faut avoir des muscles, se préparer, prendre du recul. Il m’a fallu du temps pour me sentir prêt.
J’ai commencé à avoir du succès dans les années 2000. J’ai enseigné au MIT à Boston, mes œuvres ont été exposées au Moma de New York, puis à Beaubourg.
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Vanessa Schneider
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Adel Abdessemed : " J'ai deux naissances, la première en Algérie, la seconde en France "
Artiste plasticien français internationalement reconnu, Adel Abdessemed, né en 1971 en Algérie, pratique le dessin, la vidéo, la sculpture - comme le Coup de tête de Zidane, en 2012 - et est ...