Coup de coeur... René Char...
Allégeance
Dans les rues de la ville il y a mon amour.
Peu importe où il va dans le temps divisé.
Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler.
Il ne se souvient plus ; qui au juste l'aima ?
il cherche son pareil dans le vœu des regards.
L'espace qu'il parcourt est ma fidélité.
Il dessine l'espoir et léger l'éconduit.
Il est prépondérant sans qu'il y prenne part.
Je vis au fond de lui comme une épave heureuse. À son insu, ma solitude est son trésor.
Dans le grand méridien où s'inscrit son essor, ma liberté le creuse.
Dans les rues de la ville il y a mon amour.
Peu importe où il va dans le temps divisé.
Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler.
Il ne se souvient plus ; qui au juste l'aima et l'éclairé de loin pour qu'il ne tombe pas ?
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D'un même lien
Atome égaré, arbrisseau,
Tu grandis, j'ai droit de parcours.
A l'enseigne du pré qui boit,
Peu instruits nous goûtions, enfants
De pures clartés matinales.
L'amour qui prophétisa
Convie le feu à tout reprendre.
O fruit envolé de l'érable
Ton futur est un autrefois.
Tes ailes sont flammes défuntes,
Leur morfil amère rosée.
Vient la pluie de résurrection !
Nous vivons, nous, de ce loisir.
Lune et soleil, frein ou fouet,
Dans un ordre halluciné.
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Jeune cheval à la crinière vaporeuse
Que tu es beau, printemps, cheval,
Criblant le ciel de ta crinière.
Couvrant d'écume les roseaux!
Tout l'amour tient dans ton poitrail :
De la
Dame blanche d'Afrique
À la
Madeleine au miroir,
L'idole qui combat, la grâce qui médite.
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Nous tombons
Ma brièveté est sans chaînes.
Baisers d'appui.
Tes parcelles dispersées font soudain un corps sans regard.
Ô mon avalanche à rebours!
Toute liée.
Tel un souper dans le vent.
Toute liée.
Rendue à l'air.
Tel un chemin rougi sur le roc.
Un animal fuyant.
La profondeur de l'impatience et la verticale patience confondues.
La danse retournée.
Le fouet belliqueux.
Tes limpides yeux agrandis.
Ces légers mots immortels jamais endeuillés.
Lierre à son rang silencieux.
Fronde que la mer approchait.
Contre-taille du jour.
Abaisse encore ta pesanteur.
La mort nous bat du revers de sa fourche.
Jusqu'à un matin sobre apparu en nous.
René Char - Poèmes