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Vivement l'Ecole!

Mes nuits... Souvenirs...

1 Mai 2019 , Rédigé par christophe Publié dans #Divers

Mes nuits…

(À lire en écoutant, doucement, le Caprichio arabe de Francisco Tárrega. Par Alexandra Whittingham)

J'ai connu des nuits fantastiques…

Fasciné par les lumières des lampadaires défilant en rangs serrés, de plus en plus serrés quand augmentait la vitesse de l’aronde-Simca conduite par mon père, je restais allongé sur la banquette arrière les soirs tardifs de retour de « Casa » vers El Jadida et des personnages fantastiques venaient peupler mon imagination pour disparaître au profit d’autres quand je me redressais pour regarder au loin les éclats timides des bougies hésitant à éclairer les misérables maisons isolées au milieu d’un paysage invisible rendu plus étrange encore par la nuit profonde que dérangeaient quelques rares véhicules dont beaucoup se fondaient dangereusement dans l’obscurité. La pauvreté se passe de feux de signalisation…

L’arrivée à El Jadida était toujours annoncée, la nuit. Bien des kilomètres avant les premières maisons, le phare de Sidi Bouafi m’envoyait son message. Des traits de lumière traversaient le temps et l'espace réunis, à intervalles réguliers. Mon phare était là. Présent. Je savais être chez moi. Il m’accueillait à signaux ouverts comme d’autres ouvrent leurs bras. L’univers du silence bruissait alors de voix audibles par moi seul. De voix illuminées comprises par l’initié que j’étais. Depuis lors je sais. La nuit, c’est la lumière. On est bien plus aveugle le jour lorsque l’on voit tout mais qu’on n’imagine rien.

Entre Tanger et Algéciras, dans un sens et dans l’autre, j’ai parfois franchi les « Colonnes d’hercule », de nuit toujours.

Tanger le jour était fascinante. Les ombres – « Il n’y a pas de soleil sans ombres » disait Camus – de Truman Capote et Jack Kerouac, d’Antoine de Saint-Exupéry et Tennessee Williams, de Paul Morand et Roland Barthes, de Jean Genet et Marguerite Yourcenar, de Paul Bowles et Joseph Kessel, tant d’autres encore se découpaient sur les murs blancs. Avec mes parents, je les ai tous croisés au Café Hafa ou au marché du Petit Socco. J’ai parlé littérature à la Libraire des Colonnes avec Paul Bowles et Mohammed Choukri. À huit ans… À quatorze ans… Avant une nuit magique à l’hôtel El Minzah… « Regarde qui est assis dans le fauteuil là-bas » me soufflait mon père… Et je « voyais » Beckett !

Mais les soirées tangéroises, tièdes, épaisses, bruyantes, salées, venteuses, capricieuses, toujours au bord du vice, m’enveloppent encore…

Avant d’embarquer dans un des bateaux blancs en partance pour l’Europe andalouse d’où l’Afrique n’est jamais complètement partie, ma mère prenait ma main et nous marchions le long du quai, le long des files de voitures en attente. La mer d’un port la nuit est un émerveillement. Par nos mains enlacées, c’était un poème permanent. Elle seule savait me parler des pêcheurs au lamparo, dont les lumières flottaient sur une eau striée de longs filets violacés comme autant de varices sur des jambes fatiguées, souvenirs de vidanges interdites par quelque navire parti pour d’autres nuits, d’autres eaux, d’autres quais…

Sur le bateau, pendant la traversée, je ne pouvais rester allongé sur les transats. Il fallait que j’aille regarder les étincelles de mer, éclaboussures jouant, au sortir des hélices, avec les lampes et feux de position du navire. La nuit était aussi noire que la mer quand mon regard portait plus loin, au-delà des remous. J’apercevais les signes de vie que la côte, à l’approche d’Algéciras, me renvoyait. Qui pouvait vivre là ? Et là ? Et encore là ? Quelle femme pouvait bien se préparer dans cette maison tout entière contenue dans l’ampoule tremblotante, pour aller danser le flamenco à Grenade, à Sacromonte ?

J’eus bien d’autres nuits, toutes lumineuses.

Te souviens-tu de celle-là, éclairée par un lustre accroché très haut dans une pièce immense ? Une belle nuit de partage et d’échanges. Tu t’es levée pour aller ouvrir la porte-fenêtre donnant sur le jardin effacé par l’obscurité. Puis tu es revenue t’asseoir, as allumé une cigarette.

Et tu m’as souri… De ce sourire qui me guérit de tout…

Christophe Chartreux
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"Elle me laissa l'embrasser sur les lèvres. Une bouche tendre. Un parfum doux derrière l'oreille."

Mohamed Choukri

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