Notre-Dame ou l'enfer de la précipitation... Quand la générosité à un prix...
Lorsque les premières images de l'incendie qui devait ravager une grande partie des toits de Notre-Dame, puis avaler dans un souffle fracassant et monstrueux la flèche de la cathédrale, apparurent sur nos écrans, ce fut comme si soudain le temps suspendait son vol. La France et le monde se figeaient, retenaient sa respiration. "Pourvu qu'elle tienne!" pensions-nous toutes et tous. Impuissants. Sidérés.
Elle a tenu. Blessée, meurtrie, fragilisée. Mais elle a tenu.
Le soir même, le Président de la République s'exprimait. Ce qui est tout à fait légitime. Il devait évidemment le faire.
Une phrase allait néanmoins faire basculer le temps de la sidération et de la peine dans celui de la volonté immédiate et du volontarisme effréné:
"Je veux que Notre-Dame soit reconstruite en cinq ans".
Ce fut là comme un coup d'envoi vers une ligne d'arrivée: 2024! Les déclarations se succédèrent en quelques heures. Pour reconstruire, il faudra de l'argent. Beaucoup d'argent...
Alors, les grandes familles et entreprises françaises semblèrent se livrer à une compétition étrange. Les annonces de millions, par centaines, commencèrent à affluer. Cent millions... Deux-cents millions... A donner le tournis. Ce n'était ni choquant, ni indécent comme cela fut facilement et paresseusement dit ensuite.
Non... Ce fut seulement beaucoup trop précipité.
Président et grands "capitaines d'industrie" se prenaient au jeu de la générosité accélérée. Très bien et merci à eux. Mais en voulant être toujours "devant", à vouloir immédiatement donner beaucoup et à le faire savoir, ils ont commis une gravissime erreur:
n'avoir pas su attendre que les français anonymes, celles et ceux - croyants ou pas - dont le coeur a battu devant le brasier commencent à donner les premiers. Encore eût-il fallu leur offrir cette priorité...
Il aurait suffi à "ceux qui ont tout" de laisser ceux " de la cour des miracles" donner d'abord puis, quelques jours après signer ces chèques vertigineux. Alors, tout aurait changé. Les polémiques, parfois ridicules, souvent justifiées, n'auraient pas eu lieu. Le peuple n'aurait pas vu sa peine préemptée par la bourgeoisie triomphante semblant vouloir s'accaparer jusqu'à la générosité de tous.
Voilà ce qu'il aurait fallu faire... C'était sans doute trop difficile pour celles et ceux qui ne savent plus ce qu'attendre, se "poser", réfléchir, signifie.
Le volontarisme a remplacé la réflexion raisonnable. Pire, la puissance que confère l'argent - fut-il très honnêtement gagné et utilisé à bon escient - permet à celles et ceux qui en disposent de faire comprendre aux autres, par maladresse ou inconscience, que la sauvegarde du patrimoine est de leur responsabilité, que l'art, en quelque sorte, leur appartient.
Qu'il est trop noble, trop précieux, pour être laissé à Quasimodo...
Demain, peut-être, entendra-t-on les plus grands donateurs affirmer:
"Notre-Dame? Mais elle nous appartient"...
Terrifiant glissement de sens... Du merveilleux geste désintéressé vers une forme d' "achat compulsif" par lequel même la générosité serait réservée à quelques-uns et qu'elle aurait un prix!
Christophe Chartreux