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Vivement l'Ecole!

1986, les recettes d'un principal pour lutter contre les violences scolaires...

30 Janvier 2019 , Rédigé par Liberation Publié dans #Education, #Histoire

1986, les recettes d'un principal pour lutter contre les violences scolaires...

Il y a trente ans, la violence à l'école existait déjà, les ministres annonçaient déjà des plans antiviolence ne servant pas à grand chose, avec des mesures (déjà) réchauffées. En revanche, les chefs d'établissement s'exprimaient sans langue de bois dans la presse. Si, si.

«Ah, l’école… c’était tellement mieux avant.» Faites le test : lancez une discussion sur l’éducation dans ce pays, il arrive toujours un moment où la nostalgie pointe. Les politiques le savent, et en abusent. L’école d’antan – la dictée, l’uniforme, la chorale… – est une ficelle de communication politique très efficace. Libé a donc décidé de plonger la tête dans ses archives, pour retrouver ce que le journal racontait de l’école il y a cinq, dix, trente ans… Cette nouvelle chronique «Classe rétro», concoctée avec le service documentation de Libé, met en scène un article du temps d’avant.

Hello, nous sommes en septembre 1986, et Michèle Alliot-Marie, 40 piges, est secrétaire d’Etat à l’Enseignement auprès du ministre René Monory. Elle prend le clairon pour annoncer un grand plan de lutte contre l’insécurité à l’école… Mettant pour l’occasion dans le même sac «délinquance, tabac, drogue, alcool et maladies sexuellement transmissibles». «Avec un tel amalgame construit autour du thème cher au RPR [ancêtre de LR, ndlr], elle espère se faire un nom dans une opinion sensible à la sécurité», commente Libé, qui titre sobrement : «Ecoles : Zorro est arrivée.» Dans un recoin de la colonne de gauche, on apprend qu’à l’époque, Michèle Alliot-Marie, que l’on appellera plus tard MAM, est «réputée pour ses gaffes». Son ministre de tutelle, René Monory, ne lui laisse que «qu’un ou deux osselets à ronger, et notamment ce dossier, hautement médiatique, sur la "sécurité".»

Une de Libération du 25 septembre 1986La une de «Libération», le 25 septembre 1986.

Dans son panier de mesures, MAM mise sur la «prévention» : augmentation du nombre de surveillants dans les «établissements sensibles». Et appel aux parents pour accompagner leurs ados matin et soir devant les bahuts. «C’est un élément dissuasif», précise la ministre. Il est aussi question de mobiliser les forces de police et gendarmerie… pour s’assurer que dans les bars et cafés, on ne trouve pas d’enfant seul de moins de 13 ans, et qu’on ne serve pas de boissons alcoolisées au moins de 16 ans.

Forcément, ces mesures résonnent avec le plan antiviolence qui devrait être détaillé dans les prochains jours. Le quinzième plan contre les violences à l’école depuis 1990. Le ministre de l’Education, Jean-Michel Blanquer, l’avait annoncé en octobre dernier pour répondre au vent de contestation #PasDeVague – ces enseignants qui dénonçaient sur Twitter le manque de soutien de leur hiérarchie. Parmi les mesures «évoquées» pour calmer la gronde : faire entrer des policiers dans les établissements scolaires…

Un principal, en 1986: «Un jour, les élèves ont cassé tout ce qui pouvait encore l’être»

En 1986, Libé avait recueilli le témoignage Michel Delay, principal du collège Paul-Eluard à Vénissieux, dans la banlieue lyonnaise : il racontait comment il avait rétabli un climat serein dans son établissement. Avec les lunettes de l’an 2019, on croit avoir la berlue : quoi, un chef d’établissement scolaire qui répond à la presse ? De nos jours, la communication est si bien vissée par le ministère, qu’aucun chef d’établissement n’ose publiquement s’exprimer, à moins d’être délégué syndical ou de parler sur ordre exprès de la hiérarchie.

Autre époque donc, Michel Delay raconte son arrivée en 1982 dans «un collège ordinaire en crise dans un quartier en crise» [les Minguettes, ndlr]. Les dix-sept voitures de profs vandalisées en un an, les multiples actes de racket ou les agressions verbales – et même physiques. «Un jour, les élèves ont cassé tout ce qui pouvait encore l’être. Le tiers des profs étaient en congé maladie.» Sans parler des absences. «200 élèves sur moins d’un millier disparaissaient régulièrement du collège pendant plusieurs jours.» Quatre ans après, affirmait le principal, «Dix élèves seulement sèchent encore sans justificatif. Les profs font cours.» La recette ? «Quelques idées simples. Redonner confiance aux jeunes et aux adultes, travailler en équipe… Et ouvrir les portes du collège. Quand je suis arrivé certains demandaient que l’établissement soit complètement sous clé. Au contraire, j’ai préféré laisser le portail ouvert toute la journée. Nous avons pris contact avec les parents et les travailleurs sociaux.» Il a invité les habitants du quartier pour des fêtes et des cours d’alphabétisation.

Trente ans plus tard, les cours d’alphabétisation existent toujours. Nous avons attrapé au vol, mardi matin sur son téléphone le temps du trajet (les joies des années 2010), un enseignant de Paul-Eluard en poste depuis quatre ans. Le collège, classé REP +, est plutôt calme, assure-t-il, avec toutes sortes de projets menés par l’équipe. «On a plusieurs parcours d’excellence, en partenariat notamment avec l’université Lyon-III. On travaille aussi avec des comédiens pour préparer un concours d’éloquence.» Bien sûr qu’il connaît le nom de cet ancien principal. Michel Delay a marqué l’histoire du collège et a donné son nom au centre académique de formation pour les enseignants qui se situe tout près. On y dispense entre autres, nous raconte l’enseignant, des formations pour le personnel de l’Education nationale sur la gestion des conflits.

En 1986, l’interview du principal finissait sur ces mots : «Nous n’avons pas réponse à tout. La violence, il est toujours possible de la gérer, en tout cas à l’intérieur de l’établissement – il est vrai qu’elle n’a pas disparu à l’extérieur. En revanche, il y a des désespoirs individuels auxquels il est beaucoup plus difficile de faire face : que faire devant des adolescents qui ont faim par exemple ?»

Cliquez sur la page ou sur ce lien pour lire l’événement du 25 septembre 1986

Evenement du 25 janvier 1986.

Marie Piquemal avec Bénédicte Dumont et Suzy Aouizerate

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