Il y a deux façons de voir les choses. La vision optimiste : un jeune sur deux est satisfait de l’accompagnement à l’orientation reçu pendant ses années lycées… Ce qui veut aussi dire qu’un sur deux ne se sent pas suffisamment aidé par l’institution scolaire dans cette étape déterminante. Le Conseil national d’évaluation des politiques scolaires (Cnesco), dont l’avenir est fortement menacé par le projet de loi Blanquer, publie une étude très intéressante sur un sujet assez peu documenté et pourtant central : l’orientation. 1 200 jeunes de 18 à 25 ans ont été interrogés. Leurs réponses sont pour certaines surprenantes.
Deux tiers stressés par l’orientation
On ne tombera pas de sa chaise en apprenant que le mot «orientation» est parfois synonyme de palpitations et autres symptômes du genre - les systèmes d’affectation (APB et aujourd’hui Parcoursup) n’y étant pas pour rien. Deux tiers des jeunes répondent avoir été stressés à cause des choix d’orientation. Surtout les filles, et les enfants d’ouvriers et d’employés. Plus ils ont de bonnes notes, plus ils considèrent que l’institution scolaire les a aidés dans leur choix d’orientation. C’est le cas pour 50 % des «plutôt bons élèves» et «très bons», contre 30 % des «plutôt pas bons» et «pas du tout» bons élèves. 15 % des élèves déclarent ne jamais avoir reçu d’aide au cours de leur scolarité. Le sentiment d’être bien accompagné par son établissement varie aussi : ceux qui étaient dans un collège d’éducation prioritaire se sentent plus aidés (53 %) que les autres (42 %).
Un jeune sur cinq estime ne pas avoir le choix
«A peine plus de la moitié des jeunes (57 %) avaient un projet professionnel au moment de choisir leur orientation», relève Nathalie Mons, la présidente du Cnesco. Quant aux critères pris en compte par les élèves au moment de faire leur choix, «le goût pour un métier et pour une discipline» arrive comme élément principal pour un tiers des élèves et ce, quel que soit le niveau social des familles. La rémunération arrive loin derrière, considérée comme un critère important pour 20 % des jeunes interrogés. «Ils s’accrochent à leur rêve, c’est un résultat intéressant et positif.»
A nuancer quand même : le goût du métier arrive plus haut pour les enfants de cadres (50 %) que les enfants d’ouvriers (40 %). Là encore, s’ajoutent des différences notables entre les filles et les garçons : la rémunération du métier choisi et la possibilité d’être rapidement en poste priment davantage pour les garçons (27 %) que pour les filles (14 %).
L’étude met en avant une autre donnée intéressante : le sentiment d’avoir (ou pas) choisi son orientation. 20 % des élèves passés par un lycée professionnel estiment ne pas avoir eu le choix, et ont donc le sentiment de subir leur orientation. L’origine sociale joue aussi plein pot : 19 % d’enfants d’ouvriers et employés déclarent ne pas avoir eu le choix de leur orientation, contre 10 % pour les enfants de cadres.
Le coût des études, décisif et dissuasif
71 % des jeunes déclarent avoir écarté d’eux-mêmes une ou plusieurs orientations qui les intéressaient. Jusque-là, commente Nathalie Mons, rien de très surprenant, l’orientation étant par définition un processus de choix. Mais plusieurs questions se posent. Les filles renoncent plus que les garçons (78 % contre 64 %). Les raisons avancées par les jeunes interrogées ont surpris les chercheurs : «On aurait pu penser que l’explication principale était les résultats scolaires. Or c’est le coût des études qui revient comme l’élément le plus dissuasif, décrypte Nathalie Mons. Ce qui peut surprendre dans un pays comme la France où l’université a un coût raisonnable…» L’un des éléments d’explication : derrière le «coût des études», les jeunes englobent les frais de scolarité et le «coût d’opportunité», c’est-à-dire l’argent perdu en faisant des études plutôt qu’en travaillant. La durée des études est d’ailleurs la troisième raison avancée pour expliquer les renoncements : 25 % des femmes refusent à cause de la durée, contre 18 % des hommes. 24 % des enfants d’employés contre 15 % chez les cadres. Sans surprise, l’éloignement géographique joue aussi.
18 % ont recours à un coach privé
L’enquête montre aussi l’influence prépondérante de la famille dans les choix d’orientation. 80 % des jeunes déclarent avoir parlé d’orientation à la maison, et pour la moitié d’entre eux, les parents étaient leur premier interlocuteur. Et les inégalités sociales jouent un grand rôle. Les familles les plus aisées n’hésitent pas à embaucher des coachs privés : 18 % des jeunes de 18 à 25 ans déclarent y avoir fait appel. Pour 7 % d’entre eux, c’était un coach payant, 11 % ont eu recours à une formule gratuite, grâce à des associations par exemple. «Mais ce privilège, payant ou gratuit, reste plutôt réservé aux familles favorisées qui savent que cette offre existe.» Ces inégalités sont renforcées par l’institution : on compte un conseiller d’orientation pour 1 200 élèves en moyenne, avec des disparités territoriales fortes. Ils sont encore moins nombreux dans les académies défavorisées, comme à Créteil.