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Vivement l'Ecole!

L'école doit s'arrêter sur le silencieux...

4 Juin 2019 , Rédigé par christophe Publié dans #Education, #Pédagogie

L'école doit s'arrêter sur le silencieux...

"D'une rive à l'autre"... "D'un jour à l'autre"... "D'un chapitre à l'autre"... "D'une seconde à l'autre"... Autant de lieux et de moments qui nous font passer d'un état à un autre... Cette transformation liée à un "passage", nous la voyons, l'analysons, l'assimilons avant d'autres passages, d'autres changements...

Mais, nous ne voyons pas l'essentiel. C'est à dire le "à"... Ce moment qui sépare deux lieux, deux instants, deux êtres, deux états. Ce "à", c'est le pont qui relie deux rives mais dont l'utilité principale est ailleurs  : permettre aux êtres des deux rives de se rencontrer en son milieu.

Dans toutes transformations, dans tous passages, il y a ce lieu, ce moment, ce temps, invisible, inaudible, imperceptible, véritable trou noir ou silence entre deux notes d'une symphonie dont on attend la suite quand il faudrait goûter le moment où il semble ne rien se passer quand au contraire c'est LA que tout se passe.

"Nous regardons le changement mais nous ne l'apercevons pas" disait Bergson.

La politique n'échappe pas au "non aperçu" des bouleversements successifs que les commentateurs les plus savants analysent avec justesse. Pourtant, l'Histoire a souvent démontré à quel point leurs travaux étaient contredits par le réel. Pourquoi  ? Parce que toujours ils oublient d'aller se perdre dans les "trous noirs" qui séparent les "moments" de l'Histoire. Dans le "D'un jour à l'autre", il y a le jour et l'autre, mais il y a le "à" qu'ils mettent de côté provoquant l'erreur dans l'interprétation. Ils suppriment les silences d'une sonate de Bach. Alors le paradoxe devient ahurissant, car supprimant le silence, on n'entend ni ne comprend plus rien!

L'Ecole, elle aussi, doit s'arrêter sur le "silencieux" (plutôt que l'invisible) qui existe entre deux exercices, entre deux réflexions, entre deux cours, entre deux classes. Cet "entre-deux" constitué de moments indépendants de nous comme de nos élèves, c'est la cristallisation ou la décristallisation, parfois la non-cristallisation, des constructions pédagogiques patiemment échafaudées mais inutiles si l'on ne sait pas prendre le temps d' "entendre les silences". Ces "silences", ces séparations, ces écarts, ces discontinuités qui, si on les oublie, si on n'en tient pas compte, nous feront découvrir, sans qu'on s'en soit aperçu, que le changement a eu lieu, en bien ou en mal. Et nous ne serons alors que les répliques muettes du personnage de Proust revoyant un camarade perdu de vue depuis des années et disant: "...il avait gardé bien des choses d'autrefois. Pourtant je ne pouvais comprendre que ce fût lui". (Le Temps Retrouvé). Proust ne dit pas qu'il ne le reconnait pas. Il dit bien qu'il ne peut COMPRENDRE que ce camarade était le même sans l'être, à jamais, tout à fait.

De la jeunesse à l'âge adulte... Tout s'est passé dans le "à", dans le "trou noir", dans le "silence"... 

Il est donc essentiel, AVANT d'obtenir le "J'ai compris" ou le "Je n'ai pas compris", et de s'en contenter, de prendre le temps d'analyser l'échancrure qui, non pas sépare, mais RELIE les moments de nos explications, de nos exercices et interrogations. C'est l'exploration de nos "trous noirs" qui permettra à nos élèves comme à nous-mêmes de prévenir les échecs, d'en comprendre les mécanismes et évitera à tous de s' étonner d'être passés d'une page "A" l'autre sans avoir pris le temps d'analyser et de comprendre ce que fut ce "A"...

Christophe Chartreux

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