L’enseignement moral et civique (EMC) existe, sous cette appellation, depuis la loi de refondation de l’école de 2013. C’était un projet à maints égards nouveau, au moins sur deux points : il couvre la totalité de la scolarité, du CP aux classes terminales des lycées (y compris le lycée professionnel) et il ne se réduit pas à la seule éducation civique, puisqu’il introduit, dans son intitulé même, une dimension morale explicite.
Les programmes de 2015 se sont efforcés d’être à la hauteur de cette nouveauté, en refusant de faire d’un tel enseignement une resucée des leçons de morale et d’instruction civique d’antan - ce dont d’ailleurs les enseignants ne voulaient guère. Ces programmes insistaient (puisqu’il faut en parler au passé) sur la nécessité de s’appuyer sur des dispositifs pédagogiques propices à l’acquisition d’une culture morale et civique réfléchie, argumentée, critique plus que dogmatique : propices, en un mot, à une culture morale et civique pouvant faire sens pour les élèves et aussi pour les enseignants qui ne regardaient pas forcément d’un bon œil l’idée même de réintroduire la morale à l’école.
Il serait aberrant d’affirmer que ces programmes étaient parfaits. Mais il faut s’interroger sur les changements qu’apporte la réécriture actuelle, et dont certains éléments sont annoncés ce jeudi par le Conseil supérieur de l’éducation, parmi plusieurs «ajustements» dans les programmes scolaires. La nouvelle vision conserve comme des vestiges certains éléments des programmes d’EMC de 2015. Mais elle leur tourne le dos et s’inscrit dans un discours général de la restauration à la fois préoccupant et probablement inopérant : apprentissage de la Marseillaise (déjà voulu, avec le succès que l’on sait, par Chevènement en 1985), retour de la dictée quotidienne, de la grammaire scolaire traditionnelle, retour à l’idée d’une progression par année - ce qui vide l’idée de cycle d’une grande partie de son sens, dénonciation idéologique des prétendus «idéologues» qui auraient sévi jusqu’alors (antienne indémodable depuis environ cinquante ans), idéal d’un retour à l’ordre et à la discipline, à l’apprentissage des règles de conduite (langage, décence vestimentaire, hygiène), symbolisé dans le nouveau projet d’EMC par le recours insistant au thème du respect (le mot revient si souvent qu’il serait fastidieux d’en compter les occurrences) : on est loin des enjeux d’une culture morale et civique qui apprenne aux jeunes à construire ensemble un mode commun qui ne peut plus être présenté comme un donné préexistant et indiscutable. La faiblesse pédagogique du nouveau texte est à cet égard éloquente. Un enseignement moral et civique se doit - comme tout enseignement - de rendre cohérents entre eux finalités, contenus et méthodes. Or, de celles-ci, des dispositifs mis en avant par le programme de 2015, il ne reste rien ou presque (une ou deux références au «débat réglé» et, plus modestement, à «l’éthique de la discussion»). Rien des discussions à visée philosophiques pour le primaire, de l’examen de dilemmes moraux, du recours possible aux jeux de rôle, des exemples suggérés dans le programme de 2015 de situations pédagogiques utiles à la mise en œuvre des objectifs d’un tel enseignement. Rien, en somme, des implications pédagogiques que comporte la volonté de former des citoyens actifs et, comme le disait si éloquemment le philosophe Alain, «incommodes».
La référence explicite à la liberté pédagogique des enseignants est à cet égard significative. Elle laisse la porte ouverte aux formes les plus surannées d’éducation morale et fait de ce programme un vœu pieux. Prenez-y vous comme vous voulez, dit-il en somme aux enseignants, pourvu que vous fassiez de vos élèves des individus et des citoyens respectueux des lois et des codes sociaux.
Le retour affiché et démagogique au «bon sens» ne doit pas tromper. Le nouveau projet d’enseignement moral et civique n’est pas à la hauteur des enjeux moraux et civiques d’une République non épargnée, tant s’en faut, par les querelles concernant les valeurs. Il renonce à l’ambition d’affronter les défis éthiques et civiques d’un tel pluralisme et de faire comprendre que des hommes et des femmes qui ont la liberté de ne pas se ressembler doivent pouvoir trouver dans leur confrontation même des raisons et des moyens de se rassembler.