Réunion du « conseil des sages de la laïcité », mis en place par le ministre de l’éducation nationale... Des échanges "hors sol"!
EXTRAITS
Mediapart a consulté le compte-rendu d’une réunion du « conseil des sages de la laïcité », mis en place par le ministre de l’éducation nationale. La question du voile y est soulevée à maintes reprises, certains se demandant même si Latifa Ibn Ziaten, la mère de la première victime de Mohammed Merah, serait « ouverte » à l’idée d’enlever le sien pour intervenir auprès des élèves.
Sa mise en place et sa composition avaient déjà fait débat. Mais Jean-Michel Blanquer y tenait. Depuis janvier, le « conseil des sages de la laïcité », créé sous l’impulsion du ministre de l’éducation nationale, se réunit tous les quinze jours sous la présidence de la sociologue et politologue Dominique Schnapper, directrice à l’École des hautes études en sciences sociales et membre honoraire du Conseil constitutionnel. L’objectif de cette instance ? Mettre autour de la table des personnalités issues de « tous les horizons » pour « préciser la position de l’institution scolaire en matière de laïcité et de fait religieux ». Et répondre, comme l’avait indiqué le locataire de la rue de Grenelle en conseil des ministres, « aux sollicitations de l’équipe nationale “laïcité et fait religieux” qui apporte un soutien opérationnel à ses déclinaisons académiques ».
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La réunion du 5 février a débuté sur une audition de Jean-Pierre Obin, inspecteur général honoraire et auteur d’un rapport intitulé Les Signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires. Ce travail d’observation, réalisé dans une soixantaine d’établissements, avait été commandé en 2003 par Luc Ferry, avant d’être remis un an plus tard à son successeur au ministère de l’éducation nationale, François Fillon. En tout, neuf inspecteurs avaient planché dessus. Parmi les personnes auditionnées, figurait notamment le principal de collège Bernard Ravet, aujourd’hui à la retraite, auteur du livre contesté Principal de collège ou imam de la République ? (lire notre article sur ce sujet).
Le rapport Obin souffre lui-même d’une méthodologie discutable. « Le panel d’établissements visités ne constitue en aucun cas un échantillon représentatif des établissements français, ni sur le plan de l’étude ni d’ailleurs sur aucun autre », prévient son auteur dès les premières pages. Avant d’insister un peu plus loin : « Cette étude ne peut prêter à généralisation et à dramatisation excessive : les phénomènes observés l’ont été dans un petit nombre d’établissements. » (Lire ici l’analyse qu’en fait Jean Baubérot) Il pose pourtant les bases de la discussion qui anime, ce 5 février, les membres du « conseil des sages de la laïcité ».
Une fois la présentation de Jean-Pierre Obin achevée, la discussion s’engage. Certains notent une « aggravation de la situation » depuis 2004. Ne serait-elle pas due à « une politique générale qui a consisté à mettre l’élève au centre, au risque du laxisme » ? C’est du moins ce que demande Catherine Kintzler, professeure honoraire de philosophie à l’université de Lille (Nord). « Le contenu des enseignements, par exemple l’abandon de la démonstration en mathématiques, a peut-être été un autre facteur », ajoute-t-elle. Le rapport avec la laïcité n’est pas évident de prime abord, mais Catherine Kintzler poursuit son raisonnement, en s’interrogeant sur « la pertinence de l’enseignement du fait religieux », enseignement qui, selon le site du ministère de l’éducation nationale, s’inscrit pourtant « naturellement dans le cadre de la laïcité ».
« Peut-on dire seulement le droit aux élèves ? »
Pour Catherine Kintzler, « le danger serait d’aligner les religions dans un relativisme prudent ». « Ne vaudrait-il pas mieux commencer par l’étude des religions les plus anciennes, des mythologies ? », questionne-t-elle. Les échanges se concentrent à présent sur ce fameux enseignement du fait religieux. Certains s’inquiètent de la façon dont il est dispensé. Les membres du conseil sont d’accord pour qu’il le soit, « à la condition que ce ne soit pas une discipline à part, disjointe des autres enseignements », car « il y a un réel danger de théologisation de l’enseignement », peut-on lire dans le compte-rendu.
Dans les faits, le risque est assez mince puisque, comme l’indique toujours le site du ministère, « les faits religieux ne font l’objet d’aucun enseignement spécifique mais sont présents dans les programmes de nombreuses disciplines, comme l’histoire, les lettres, l’histoire des arts ou la philosophie car il sont un des éléments de compréhension de notre patrimoine culturel et du monde contemporain ». Sur la question de la formation des enseignants eux-mêmes, un dispositif existant devrait être de nature à rassurer les « sages » : il s’agit d’un parcours magistère – une formation en ligne – sur l’enseignement laïque des faits religieux, ouvert à tous les enseignants depuis 2015. Il a été conçu par l’Institut européen en sciences des religions (IESR) et le ministère de l’éducation nationale, à la demande de l’Observatoire de la laïcité.
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Les « sages de la laïcité » poursuivent la discussion. Laurent Bouvet, professeur de science politique à l’université Versailles-Saint-Quentin (Yvelines) et cofondateur de l’association Le Printemps républicain, prend la parole pour expliquer qu’« il serait bon que les enseignants abordent la question du sens, sur le voile par exemple ». « Mais peut-on garantir qu’ils auront à cœur de le faire ? Qu’ils auront la rationalité nécessaire ? interroge-t-il. Dans l’enseignement supérieur, de nombreuses thèses de jeunes chercheurs (sur le genre, sur le postcolonialisme, etc.) sont devenues majoritaires. Elles affirmeront, pour le voile comme pour la minijupe, que ce sont des outils d’émancipation pour les jeunes filles. Et on retrouve ces arguments dans la bouche d’hommes de gauche. Beaucoup de ces formateurs font de l’islam la religion des opprimés. »
C’est au tour d’un chef de service à la Direction générale de l’enseignement scolaire (Dgesco) d’être auditionné. L’homme profite de l’occasion pour rappeler aux « sages » les dispositifs déjà mis en place, notamment pour la formation des enseignants, laquelle a connu « une grande accélération à partir de 2015 ». Une autre membre de la Dgesco rebondit alors sur une intervention de Jean-Pierre Obin pour souligner « qu’il y a en effet beaucoup de revendications de jeunes parents, sans compter l’augmentation des demandes de dispenses de cours (en éducation physique par exemple), et l’explosion de l’instruction à domicile ».
Aucune donnée chiffrée n’étaie ce propos dans le compte-rendu. Et pour cause : les données permettant d’évaluer la pression religieuse sont rares. Souvent, les enseignants parviennent à déminer les incidents par le dialogue. En décembre 2017, Jean-Michel Blanquer avait lui-même déploré l’absence de « statistiques » sur le sujet, promettant, sans autre précision, qu’elles finiraient par exister « dans le futur ». Ce que l’on sait, en revanche, c’est que l’instruction à domicile concerne aujourd’hui une part mineure des élèves en âge d’être scolarisés : à peine 0,3 %. On est loin d’une « explosion ».
L’interlocutrice de la Dgesco évoque ensuite « des signalements nouveaux, par exemple des enseignantes qui retirent leur voile juste à l’entrée de l’établissement ». Un procédé qui n’a rien d’illégal, puisque, si tout fonctionnaire se doit de respecter le principe de neutralité dans le cadre de son travail, les enseignantes peuvent évidemment porter le voile quand elles ne sont pas en fonction. En outre, la loi du 15 mars 2004, qui proscrit les signes religieux ostensibles dans les établissements scolaires et s’applique aux élèves, semble avoir porté ses fruits. Dans son rapport publié en 2014, l’Observatoire de la laïcité indiquait que « les académies [faisaient] état d’un très petit nombre d’incidents liés au non-respect de la loi de 2004, quand elles ne répondent pas tout simplement que les questions posées sont sans objet ».
La réunion touche à sa fin. C’est à ce moment que les « sages » saluent, comme le stipule encore le compte-rendu, « la démarche des enseignants qui invitent à leur cours des personnalités – un rescapé de la Shoah, ou Latifa Ibn Ziaten », la mère de la première victime de Mohammed Merah, qui intervient régulièrement en milieu scolaire dans le cadre de la prévention et de la lutte contre la radicalisation. Surgit alors cette suggestion : « Pour cette dernière, on peut souhaiter qu’elle enlève son voile en entrant dans la classe, serait-elle ouverte à cette proposition ? » Les membres du conseil soulèvent ici un point qui avait été largement débattu pour un autre cas de figure, finalement tranché par le Conseil d’État en décembre 2013 : celui des mères voilées accompagnatrices.
Même si Jean-Michel Blanquer a récemment fait part, sur RTL, de son « approche personnelle », en estimant qu’un parent accompagnant une sortie scolaire ne devrait « normalement » pas porter de signe religieux, Emmanuel Macron, lui, s’est toujours voulu très clair sur le sujet : « Je ne crois pas pour ma part qu’il faille inventer de nouveaux textes, de nouvelles lois, de nouvelles normes, pour aller chasser le voile à l’université, pour aller traquer ceux qui lors des sorties scolaires peuvent avoir des signes religieux », déclarait-il dès juillet 2016. Comme les accompagnatrices, les intervenants extérieurs ont parfaitement le droit d’arborer des signes religieux dans une école tant qu’ils ne font pas de prosélytisme. Latifa Ibn Ziaten n’est donc pas tenue de retirer son voile dans une enceinte scolaire. N’en déplaise à certains « sages de la laïcité ».
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Les échanges hors sol des "sages de la laïcité"
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