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Vivement l'Ecole!

Les neurosciences ou l'obsession de la performance... (+ video)

20 Janvier 2019 , Rédigé par Liberation Publié dans #Education, #Neurosciences, #Sociologie

Stanislas Morel : «Les neurosciences illustrent la dépolitisation actuelle de la question scolaire»

EXTRAITS

Pour le sociologue, spécialiste de l’échec scolaire, la domination des neuroscientifiques dans l’éducation, actée par la composition du nouveau Conseil scientifique, témoigne d’une obsession de la performance. Au détriment d’une approche sociale des inégalités à l’école.

Le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, a présenté le 10 janvier les membres du tout nouveau Conseil scientifique de l’éducation nationale (CSEN) présidé par Stanislas Dehaene, psychologue cognitiviste et figure française des neurosciences. «Au plus près des besoins des professeurs, explique le ministre, le Conseil fera des recommandations pour aider notre institution et les professeurs à mieux saisir les mécanismes d’apprentissage des élèves.» L’initiative a été reçue assez froidement par les syndicats d’enseignants, qui redoutent une prise de pouvoir des sciences du cerveau sur les méthodes pédagogiques. Le sociologue Stanislas Morel, auteur en 2014 de la Médicalisation de l’échec scolaire (La Dispute), revient sur la position aujourd’hui dominante des neurosciences cognitives dans le domaine de l’apprentissage.

La communication autour de la création du CSEN laisse penser que les neurosciences étaient jusqu’ici peu présentes dans les débats sur l’enseignement. Etait-ce le cas ?

Non. La démarche des neuroscientifiques pour occuper le terrain sur de nombreux sujets de société, comme les apprentissages scolaires, les prises de décision économiques, voire les fondements des goûts esthétiques, a débuté, dans les faits, il y a une vingtaine d’années. Le boom des neurosciences à la fin des années 90 est en grande partie lié aux progrès dans les techniques d’exploration du cerveau, à commencer par l’imagerie cérébrale, qui permettent d’avoir une meilleure connaissance du fonctionnement du cerveau, resté pendant longtemps un organe très mal connu.

C’est une discipline scientifique que vous décrivez, dans le domaine des apprentissages, comme étant «orientée vers l’action»…

Effectivement, le talon d’Achille des neurosciences, c’était avant tout les critiques qui les accusaient d’en revenir à un certain déterminisme biologique. Les neuroscientifiques ont alors joué la carte de l’ouverture en mettant en avant la plasticité du cerveau, sa capacité à évoluer au cours du temps, notamment sous l’influence de facteurs «environnementaux». Ils adoptent donc aujourd’hui un discours intégrateur qui prétend prendre en compte les différents facteurs biopsychosociaux pesant sur les apprentissages. L’idée n’est plus d’éliminer les disciplines et les causalités «concurrentes», c’est de les coordonner, mais aussi de les hiérarchiser, en mettant souvent en avant la causalité biologique. De fait, les neuroscientifiques ont parfois relativisé les questionnements ontologiques (la quête de la cause première des difficultés d’apprentissage) pour privilégier un «pragmatisme» pouvant conduire à des réponses pratiques aux difficultés. Parmi ces réponses : prêter de l’importance à l’explication des consignes, à la répétition des exercices, à la correction des erreurs, aux manières de mémoriser des connaissances ou à l’estime de soi des élèves.

(...)

Les neurosciences fonctionnent surtout comme une mécanique de preuve pour des solutions préexistantes. Finalement, elles n’inventent rien…

Sans doute pas rien, mais c’est vrai que les solutions qu’elles proposent, comme celles préconisées par Stanislas Dehaene pour l’apprentissage de la lecture, sont souvent bien connues des pédagogues. Par exemple, dire aujourd’hui qu’il faut privilégier le décodage de correspondances grapho-phonémiques - la méthode syllabique pour aller vite -, ce n’est plus clivant. Ce qui est vraiment nouveau, c’est la manière d’administrer la preuve de l’efficacité des pratiques pédagogiques en s’appuyant sur les sciences expérimentales dans un univers scolaire qui, pour ses détracteurs, avait sombré dans l’idéologie. Et c’est à partir de l’effet de levier créé par cette forte légitimité scientifique que les neuroscientifiques ont été capables de réasséner de manière très puissante des préconisations qu’eux-mêmes reconnaissent n’être pas spécialement révolutionnaires.

Comme celles issues de la pédagogie Montessori, qui a plus d’un siècle…

Dans l’opinion, Montessori est souvent associée à une forme de pédagogie alternative, nouvelle, destinée aux «bobos» parisiens. On oublie que Maria Montessori était une femme médecin, auteure d’un livre, Pédagogie scientifique, qui cherchait à établir une pédagogie expérimentale. Il y a un lien de parenté entre Montessori et les neurosciences. Il s’agit dans les deux cas d’expliquer à des enseignants dont la pédagogie est jugée intuitive, spontanéiste, ce que les sciences expérimentales ont à dire des apprentissages. Mais il faudrait mieux connaître les pratiques des enseignants et, plus généralement, ce qui se passe dans les classes. C’est à cette condition que l’apport indéniable des neurosciences pourrait être plus utile.

(...)

Le CSEN, c’est finalement moins une révolution qu’une évolution logique de ce qui s’est passé ces dernières années…

C’est tout à fait logique. Les neurosciences incarnent l’avant-garde, les chercheurs sont mobilisés dans la promotion de leur discipline, et Blanquer est convaincu depuis longtemps. Mais ça illustre aussi la dépolitisation actuelle, commune aux différents gouvernements, de la question scolaire. Obnubilé par la performance des systèmes éducatifs, on ne réfléchit plus assez aux buts de l’éducation, aux inégalités scolaires et à la place qu’on veut donner à l’école dans notre société. C’est une question politique qui doit et qui va forcément revenir.

Par Erwan Cario, Dessin André Derainne

 

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