Réseaux "sociaux" ou agonie démocratique?...
Twitter, les "débats", les "talk show" ou l'agonie démocratique...
Une place de choix est désormais réservée dans nos emplois du temps quotidiens aux réseaux dits "sociaux". La parole y est ouverte et libre. Immense "talk show" sans le son, quasiment sans contrôle. Il suffit pour s'en convaincre de lire les horreurs antisémites, racistes, homophobes sur Twitter et Facebook. Des pépites aussi, des erreurs souvent, des naïvetés et des mots d'amour, des polémiques à jets continus. Bref, la vie en 140 signes. Un ersatz de vie...
La parole ouverte et libre disais-je... Mais une parole utilisant un vecteur dont la particularité est de la faire sonner en échos multiples et successifs. Formidable roulement permanent, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, déferlantes ininterrompues de messages cognant aux falaises de nos vies anonymes. Ou pas. Des vies exposées ou dissimulées mais des vies qui peu à peu, sans s'apercevoir ou, bien pire, s'apercevant, que le lien social REEL n'existe plus, se réfugient dans un cadre rassurant: celui de la parole investie d'une fonction sociale et socialisante. Rassurant mais illusoire, éphémère, impersonnel, parfois menaçant et dictatorial.
La parole ouverte et libre... Des débats à n'en plus finir, à n'en plus manger ni dormir. A n'en plus exister sinon pour et par ces quelques pseudos et avatars. A n'en plus se rendre compte qu'on échange davantage avec de parfaits inconnus et beaucoup moins avec celles et ceux qui partagent votre lieu de VIE! A ce sujet je ne peux que recommander la lecture du merveilleux livre/témoignage de Guy Birenbaum: Vous m’avez manqué, Editions des Arènes. Il dit tout. Et il le dit bien.
Mais revenons aux "débats". L'éducation est un thème inépuisable donnant l'occasion quasi quotidienne de s'étriper entre collègues. Débats qui n'apportent souvent rien d'autre que le fait de faire exister des "spectacles", de faire "entendre" des éclats de voix, de faire voler parfois les noms d'oiseaux, d'utiliser, en en usant et en abusant, la raillerie récurrente en lieux et place de l'argument. Et lentement, imperceptiblement, ou soudainement et violemment, le "débat" perd ce qui devrait faire sa force, perd sa "trinité": l'information; la délibération; l'éducation. Il n'existe plus que par lui-même. Il devient monstrueux, difforme. Un Quasimodo qui aurait perdu toute humanité pour se muer en gargouille sur une des tours de Notre-Dame...
La parole ouverte et libre... Plus exactement, je le disais pour commencer, des "talk show" silencieux, chacun rivé devant un écran et un clavier. Toutes les opinions affluent, chacun certain d'avoir raison, certain aussi que l'autre a tort s'il n'est pas de votre avis. Je suis le premier à être coupable souvent de ce travers. Alors le "débat" tourne court et devient hurlement, engueulade, insulte. Mais surtout, INUTILE! La pârole ouverte et libre devient un bruit inaudible. Un comble!
Pour reprendre Jean-Claude Guillebaud parlant de tout cela (Ecoutez bien!):
" Cette gueulante individuelle, omniprésente, fiévreuse, qui peut choquer sur le moment mais qui, en réalité, ne mange pas de pain et ne dérange aucun intérêt: existe-t-il meilleur symptôme de la déréliction politique?"
Et Guillebaud ajoute:
" A la limite, la démocratie du talk show, c'est un autre nom donné à l'agonie démocratique". (In supplément Télé de l'Obs en date du 27 juin 2015)
A méditer...
Christophe Chartreux